Les Lumières de Tel-Aviv
de Alexandra Schwartzbrod

critiqué par Poet75, le 8 mai 2020
(Paris - 68 ans)


La note:  étoiles
Mur de séparation
Récemment, sur Arte, l’on a pu voir un documentaire saisissant intitulé Tous surveillés, qui montre comment, en prenant prétexte du besoin de sécurité des populations, l’on fait installer, un peu partout dans le monde, des systèmes de surveillance de plus en plus sophistiqués. Le monde tel que l’avait imaginé George Orwell dans 1984, son fameux roman d’anticipation, est bel et bien en cours de fabrication, si l’on peut dire. Certains pays, parce qu’ils sont contaminés plus que d’autres par la peur, se placent en leaders dans le domaine en question. En Israël, les caméras ne se comptent plus et l’on y est fort intéressé par les prouesses technologiques inventés par les Chinois, soucieux de contrôler en permanence les Ouïghours musulmans de la province du Xinjiang. Pour ce faire, ce territoire est couvert de caméras « intelligentes », c’est-à-dire capables de repérer les individus suspects qu’il convient d’arrêter et de placer dans des maisons de redressement. Autrement dit, ce ne sont plus des hommes qui décident, mais des machines fonctionnant selon de mystérieux algorithmes. Ce sont elles qui désignent les suspects. Big Brother est devenu un œil électronique.
Ces réalités, Alexandra Schwartzbrod les prend formidablement en compte dans son nouveau roman, dont l’action se situe en Israël, entre Jérusalem et Tel-Aviv, un pays qu’elle connaît à merveille pour y avoir séjourné longuement en tant que journaliste et correspondante de Libération. Ce pays, si obsédé précisément par la sécurité, elle l’imagine coupé en deux, un mur séparant les deux parties. D’un côté, du côté de Jérusalem, ce sont les ultra-religieux qui ont pris le pouvoir et fondé le Grand Israël, aidés en cela par des Russes omniprésents capables de mettre en place des systèmes de surveillance dernier cri, le fleuron en étant les drones tueurs qui, d’eux-mêmes, sans être guidés par une main humaine, repèrent et éliminent les individus suspects, en particulier à proximité du mur. De l’autre, du côté de Tel-Aviv, se sont repliés et réfugiés des rebelles qui, juifs et arabes, ont rejeté les diktats du Grand Israël et s’emploient à un retour aux origines, tentant de ranimer la flamme qui animait les premiers kibboutzim.
Bien évidemment, Alexandra Schwartzbrod ne se contente pas de décrire un monde qui est devenu « une succession de murs et de cloîtres » (au passage, elle indique que l’Europe a implosé et retrouvé ses frontières intérieures), mais elle introduit habilement une touchante galerie de six personnages, tous en quête d’une vie différente. Homme religieux, Haïm se décide pourtant à fuir Jérusalem, tant la pratique de la foi, avec ses nombreux interdits et son corollaire, la haine des autres, risque de le rendre fou. Or, il s’enfuit en emportant avec lui les plans du système de surveillance en cours de réalisation, équipé de robots tueurs. Sa femme Ana, qu’il a laissé derrière lui, faute de l’aimer vraiment, se prend à rêver de liberté, elle aussi. Quant à Isaac, ami d’Haïm, il se trouve que lui est réellement épris de la belle Ana. Il faut compter aussi avec Moussa et Malika, deux jeunes Palestiniens qui trouvent refuge, pendant un temps, dans une grotte, ainsi qu’avec Eli Bishara, un ex-commissaire de police, palestinien réfugié à Tel-Aviv, ville à la fois honnie et adorée.
Tous ces personnages, avides de changement, la romancière sait les rendre familiers au lecteur, passant des uns aux autres, au moyen de chapitres assez brefs. Ce roman choral, bien conçu, bien découpé, on l’imaginerait sans peine adapté au cinéma ou en série télévisée. Il semble presque déjà écrit dans cette intention, ce qui ne supprime en rien ses qualités, au contraire. L’écriture n’en est pas le moins du monde bâclée et l’on n’a aucune peine à se prendre d’intérêt, voire de passion, pour les divers protagonistes. Tout en espérant très fort de n’être pas en présence d’un roman prémonitoire. Car la réalité d’Israël et du monde, telle que l’entrevoit Alexandra Schwartzbrod, il ne faut la souhaiter pour personne.