L'affaire Magritte
de Toni Coppers

critiqué par Nathavh, le 19 avril 2020
( - 60 ans)


La note:  étoiles
Passionnant
C'est à la demande des héritiers de Magritte que Toni Coppers a écrit ce roman policier autour de l'univers de Magritte. "De zaak Magritte" est sorti en version originale en 2017 et a été nominé au prix Hercule Poirot. Merci à Diagonale et à Charles de Trazegnies pour cette belle traduction française.

Quel rapport y a t-il entre un meurtre à Bruxelles, un autre à Paris, Alex Berger et John Novak et un petit écriteau façon Magritte mentionnant "Ceci n'est pas un suicide" ? Bienvenue dans l'univers surréaliste de Magritte et un thriller palpitant mené de main de maître par Toni Coppers.

Nous sommes dans le monde d'aujourd'hui, post attentat de Paris, en 2017.

Alex Berger, notre anti-héros n'est plus que l'ombre de lui-même depuis deux ans, depuis l'attentat du 15 novembre 2015 à Paris. Il est ravagé depuis que l'amour de sa vie Camille a perdu la vie sur la terrasse du "Carillon" de manière innomable. Il est rongé de remords car il aurait dû être avec elle ce soir-là mais retenu par une enquête qui a permis de mettre un certain Novak sous les verrous, il n'avait pu en être. Depuis il est dépressif, alcoolique, il sombre emporté par ses démons et d'horribles cauchemars.

Cependant son ami et collègue, Leroux, devenu commissaire fait appel à lui et souhaite le réintégrer pour une enquête. Une femme, Cécile Meunier, 81 ans a été retrouvée, malmenée, noyée dans son évier, un petit écriteau à la manière de Magritte indiquant "ceci n'est pas un suicide" , le principal suspect est John Novak. Alex Berger veut le retrouver à tout prix.

Parallèlement à Paris, un autre décès dans le 10ème arrondissement; une femme, Claire Collinet 66 ans, galiériste est retrouvée noyée dans sa baignoire, le même écriteau à ses côtés.

C'est avec brio que Toni Coppers nous parle du surréalisme, de Magritte, de ses tableaux, des interprétations à donner à ceux-ci. On connaît tous au moins un des tableaux de Magritte, comment les interpréter ? Comment les décoder ? Toni Coppers dans ce roman policier excessivement bien construit nous donne des clés.

Ce thriller est vraiment mené à la perfection, sa construction est parfaite. Petit à petit notre anti-héros torturé par ses démons va délier les fils, chercher des liens là où en apparence il n'y en a pas pour comprendre. Résoudra-t-il l'enquête, calmera-t-il sa haine ou ira-t-il au bout de son envie de vengeance ? Toni Coppers nous décrit merveilleusement bien les émotions humaines.

La vie et la liberté sont des choix, ceux qui guident nos vies, c'est un des enseignements de Magritte, un thème sur lequel méditer.

C'est fluide, bien structuré, efficace. L'écriture est captive, une très belle découverte à lire d'urgence.

Merci Diagonale d'avoir pris l'initiative de la traduction réalisée par Charles de Trazegnies.

Un excellent moment. Un coup de coeur.

♥♥♥♥♥

Les jolies phrases

Daniel était un quinquagénaire, un ancien prof de langues anciennes qui avait décidé un jour de mettre en pratique les leçons de ses illustres modèles, Nietzsche et Sartre. Ils affirmaient que s'il est vrai que la vie n'a aucun sens, l'homme, dans cette existence absurde et dénuée de sens, doit utiliser sa liberté pour construire sa propre éthique.

Il trouvait que la tâche d'un peintre était de faire douter de la réalité, de ne pas accepter qu'il n'y ait qu'une seule vérité, si tu veux. Son art suscite toujours plus de questions qu'il n'apporte de réponses. Je trouve ça si fort.

Je suis d'avis que le choix, le vrai choix est une illusion. Tu fais ce que tu dois faire, tu y ajoutes tout au plus quelques ornements et tu appelles ça un vrai choix.

Nous devons simplement vivre. Créer quelque chose, faire quelque chose, être quelque chose. C'est ce que je trouve beau chez Magritte ; c'est quelqu'un qui te laisse libre de penser ce que tu veux. Et pour le reste, nous devons essayer de faire quelque chose de beau avec du laid. Exactement comme l'a fait Magritte après la mort de sa mère.

L'idée même que quelqu'un puisse assassiner l'un de ses semblables avec préméditation lui avait toujours semblé repoussante. Elle l'avait fasciné toute sa carrière, dans la mesure où, dès qu'il avait saisi de quel type d'assassin il s'agissait, il s'était focalisé sur sa psychologie. Il savait depuis longtemps que la grande majorité des malfrats étaient de pauvres types ordinaires qui échouaient à leur grande surprise dans une salle d'interrogatoire, parce qu'ils s'étaient laissé dominer par leurs pulsions. Colère, envie, jalousie. L'ego même. Il faisait de son mieux pour les comprendre et obtenir leurs aveux, et puis c'était à la Justice de jouer. Mais ce petit groupe d'individus qui, de sang-froid, avaient ôté la vie à d'autres, qui avaient planifié leur acte, qui avaient tué un de leurs semblables de manière impitoyablement rationnelle, ceux-là captivaient toujours Berger. Comment pouvait-on agir de la sorte ? Quel monstre fallait-il être pour en arriver là?


C'est une peinture, songea-t-il, la peinture d'un oiseau. J'ignore si l'oiseau traverse les nuages ou si c'est l'inverse, mais cela n'a guère d'importance. Il est libre. Quoi qu'il puisse lui arriver, il est libre.