Quel plaisir, tout d'abord, que de contempler ce détail du Jardin des délices de Jérôme Bosch pour illustrer la couverture de cet ouvrage. Très joli choix.
L'avant-propos du roman de Jacques Neirynck donne le ton et il me semble indispensable de le lire et le relire pour bien s'imprégner du contexte politico-historique de la guéguerre Flandres-Wallonie. Tout est dit, la naissance de la barrière linguistique, les revendications et les querelles de part et d'autre, le caractère hétéroclite d'un pays bombardé capitale de l'Europe, bref la carte détaillée du paysage belge, complexe et si particulier.
"L'agglomération bruxelloise constitue donc une parabole de l'Europe : Babel et Sarajevo à la fois, le lieu de tous les dialogues possibles et de tous les mutismes éventuels ; un îlot de latinité dans le monde germanique ; une enclave où l'on parle toutes sortes de langues au milieu d'un territoire où l'on s'efforce de maintenir l'exclusivité du néerlandais." (page 13)
Dans ce roman à la fois réaliste et futuriste, nous nous trouvons face aux illusions démesurées d'un homme, qui entraîne son meilleur ami, dans sa folie pour la suprématie de la Flandre sur le reste de la Belgique. Car il est évident que la Flandre est la meilleure et doit écraser tout le reste du pays. Discours ô combien entendu lors des manifestations du TAK ! Neirynck a finalement inventé peu de choses dans ce récit, il a savamment emballé la réalité pour lui donner un côté fictionnel, mais tout est là, de l'immobilisme francophone au bellicisme néerlandophone, rien ne manque, pas même l'ambition décalée des dirigeants de Bruxelles qui veulent en faire la capitale du monde tout en se trouvant au centre de toutes les querelles. Ceci me fait penser à une phrase du président de l'Exécutif flamand, il y a quelques mois, lors d'une énième bagarre entre les deux communautés linguistiques, en séance parlementaire : "N'oubliez pas que Bruxelles se trouve et se trouvera toujours en région flamande. On pourrait la reprendre si il le fallait !". Puéril, mais conforme à certaines mentalités de politiciens du nord du pays.
Le style de Neirynck est savoureux, il mélange allègrement les différents dialectes du pays, ne craignant pas d'insister sur le parler pittoresque de ses personnages, comme Zulma et ses fameux "une fois".
Au-delà d'un roman captivant, c'est une profonde réflexion à laquelle nous sommes invités avec ce livre, histoire de dépasser cet adage qui s'applique autant à la Belgique qu'à la Suisse : "Petit pays, petit esprit". Si l'indépendance n'est pas encore prévue pour la Flandre (le sera-t-elle un jour ?), il n'en demeure pas moins que trop souvent, des bâtons sont volontairement placés dans les roues des wallons (et vice-versa) pour de simples questions idéologiques qui nuisent à une population pas toujours en accord avec les extrémismes de ses hommes politiques. La caricature de Neirynck, cette guerre des clans, illustre parfaitement la stupidité dans laquelle peuvent s'enfoncer les fanatiques et les nationalistes de tous bords.
Sahkti - Genève - 51 ans - 28 avril 2004 |