L'Étai, Journal 2018
de Renaud Camus

critiqué par Alceste, le 29 mars 2020
(Liège - 63 ans)


La note:  étoiles
Le Grand Effondrement
De sa résidence en un château médiéval, Renaud Camus a acquis l’expérience des structures nobles mais chancelantes, menaçant de s’effondrer et nécessitant un soutien.
L’effondrement dont il question au fil de son journal 2018, c’est bien celui de tout un monde, toute une civilisation, l’effondrement de la syntaxe en tout premier. L’étai, c’est tout ce que sa plume peut pour l’empêcher. Un étai pour préserver ce qui était, en somme.

Un seul exemple : « Sous de tels coups (la création d’un prix du cinéma « populaire » aux Césars) achève de s’effondrer la culture, bourgeoise par définition et qui depuis longtemps tenait à peine debout. La période voit de grandes évolutions idéologiques. De Gaulle, Churchill et la culture, qui recevaient encore quelques hommages de routine, comme Louis XVI en son palais de 1791, deviennent officiellement suspects. Demain ils seront criminels. »

Sont relatées aussi les multiples et épuisantes polémiques qui émailleront l’année, avec divers contradicteurs parmi lesquels Yann Moix est le plus fameux. Le journal est d’ailleurs à ce sujet assorti de quelques matériaux et réflexions pour une étude plus approfondie de cette question. On apprend pourtant que son ouvrage intitulé « le Grand remplacement », du nom de ce syntagme immanquablement associé à son nom depuis quelques années, n’a pas connu de pic de ventes. Pas de consolation, si mince soit-elle, de ce côté.

Mais en parallèle, le journal reste le reflet d’une intimité, et des observations plus personnelles nous sont livrées, comme ces mots qui, à partir d’un certain âge, se dérobent à la mémoire, ou qu’on n’arrive pas à dactylographier du premier coup.Notons aussi que Renaud Camus est un excellent guide des coins et recoins de France encore épargnés par la destruction du paysage. Ainsi de ces campagnes auvergnates qu’il décrit avec délectation et où l’on a envie de se précipiter, sans danger d’y voir affluer les touristes, étant donné l’écho que reçoit généralement ce journal.

Mais pour l’essentiel, Renaud Camus nous apparaît tantôt comme Jérémie exhortant, non Jérusalem, mais La France, à se convertir au sursaut civilisationnel , tantôt comme Saint Jean prêchant dans le désert de la population hébétée, tantôt enfin comme un beau Saint Sébastien percé de mille flèches, dont le regard douloureux se tourne vers un lieu céleste où il n’aurait pas à endurer les rafales des « sur comment », des « c’est h-un », des « la France, elle est forte », ni la musique de variété sur France-Culture ou les champs d’éoliennes.

2018, c'est aussi l'année où j'ai eu l'honneur d'être reçu par le Maître en son château. J'ose espérer qu'il a goûté l'une ou l'autre page de "Couleur du temps", de Henri de Régnier, dont je lui ai offert un exemplaire en guise de remerciement.

Extrait
« J’imagine qu’un jour tout se rompt, quelque structure porteuse se lasse de porter, elle se brise après tant de poutrelles accessoires et d’étais. C’est nous qui lâchons prise. Je ne serais pas étonné qu’un mot méchant suffise, un regard, un article de presse, un tweet, alors qu’on en a déjà enduré tant et tant, et de bien plus cruels. On regarde en soi, afin de puiser dans ses réserves, et l’on se rend compte avec un étonnement étonnant qu’il n’y a plus rien, désolé, c’est fini, bien fini : plus de force, plus d’illusion, plus de désir, plus d’orgueil, plus de vanité, plus rien même de ces défauts dont on avait fait flèche, à l’occasion, faute de bois de meilleure qualité. »