Otages
de Nina Bouraoui

critiqué par Nathavh, le 23 mars 2020
( - 60 ans)


La note:  étoiles
roman féministe
Sylvie Meyer a 53 ans, elle est mère de famille de deux garçons. Son mari l'a quittée il y a un an après 25 ans de vie commune, comme ça un matin, il lui a dit "Je m'en vais". Elle n'a rien dit, rien fait.

C'est à la première personne, par un monologue prenant, qu'elle nous raconte son histoire.

Elle travaille à la Cagex, une entreprise dans le caoutchouc, depuis 21 ans. Victor Andrieu, son patron lui dit qu'elle est indispensable, qu'elle est son bras droit, alors sans rien dire, Sylvie se donne à fond dans son travail, ne compte pas ses heures supplémentaires. Un jour, son patron lui explique que l'entreprise est au bord du gouffre et il lui demande, à elle, son bras droit, la responsable des ouvrières, ses abeilles comme elle dit, de lister le personnel, de le surveiller car il n'a pas le choix, il va falloir licencier. C'est la goutte d'eau qui va faire déborder le vase.

Sylvie a accumulé tant de choses depuis des années, elle subit tant de violences silencieuses, de non-dits sans jamais s'exprimer, elle a entassé, enfoui tant de choses, tant de tensions. Elle est comme une cocotte-minute, sous pression, prête à exploser.

Elle va exploser et tout va basculer...

C'est un roman féministe que nous propose Nina Bouraoui, un roman qui défend la liberté. Elle nous parle de la condition de la femme et des violences enfouies depuis l'enfance par notre héroïne.

Sylvie a refoulé plein de choses au fond d'elle, elle a tout accepté, enfoui, tu, voulu oublier sa rage envers l'homme mais là d'un coup elle l'exprime et cela va lui coûter cher , mais n'est-ce pas à ce prix que l'on trouve enfin la liberté ?

Ne sommes-nous pas parfois otages de nos vies ? de notre corps de femme, de nous-même, de notre passé comme Sylvie ? Elle a intériorisé toutes ses blessures jusqu'au moment où elle passe à l'acte.

Ce livre m'a interpellée sur la notion de liberté, notre liberté n'est-elle pas celle de faire des choix ? sans doute mais il faut vaincre la peur.

Un petit élément refoulé au fond de soi, l'intériorité, la peur de l'homme, d'être continuellement dominée, mais aussi l'amour, son manque qui crée des douleurs et des révoltes sont traités dans ce roman très intéressant.

L'écriture est tantôt fluide, proche de l'oralité , utilisant des métaphores, délivrant beaucoup de jolies phrases, tantôt fleuve , on se laisse emporter par les flots des mots qui rythment le récit créant une tension constante. Ce roman se lit extrêmement rapidement.

Ma note : 8.5/10


Les jolies phrases

...que je n'ai pas le temps pour le plaisir. Pas le temps. C'est une erreur, le plaisir étant l'une des façons d'échapper au réel.

On n'est pas libre sans amour, sans désir, pas du tout. On est prisonnier de son corps. On est prisonnier du monde. L'amour c'est la liberté.

Vous êtes une femme intelligente et bonne, c'est si rare la bonté de nos jours, chacun avance pour soi sans penser aux autres.

Heureuse ou malheureuse, grise ou saturée de lumière, une enfance ne s'oublie pas. On ne coupe pas les racines d'un arbre qui fleurit encore.

Parce que le travail, c'est quand même la soumission. On a beau dire, mais il y a un truc qui cloche. Bien sûr, au bout du travail, il y a le salaire, et avec le salaire il y a la liberté ; mais une liberté si limitée si on fait la balance.

Peu importe l'objet du désir. Le désir c'est se sentir exister. C'est la vie le désir. C'est l'élan, la force.

On nous fait croire que l'on est tous libres et égaux et que notre modèle est le meilleur des modèles, mais ce n'est que de la poudre aux yeux car finalement, nous les petits, on a aucun droit, sinon celui de se taire. Bien sûr on nous donne un travail, on nous fait confiance quand on est un peu plus malin qu'un autre, mais au final c'est toujours pareil, on se fait écraser par les plus forts, et on se tait car il faut bien bouffer ; alors on accepte, on continue, on suit la ligne toute tracée du berceau à la tombe, toujours dans l'humiliation, la main tendue, car on n'a pas les moyens de claquer la porte, et parfois on rêve de partir, de leur clouer le bec pour qu'il n'y ait plus d'humiliation car on a pu choisir, et le choix c'est la liberté. Et là elle existe la liberté, c'est pas juste une idée ou un joli mot, c'est comme l'histoire de l'oiseau dans sa cage : un jour on ouvre la porte, et s'il peut choisir, ce n'est pas évident qu'il se casse, pas évident du tout car c'est lui qui décide, le mieux pour lui, la petite cage avec ses graines et sa coupelle d'eau ou l'immensité du ciel et les corbeaux qui l'attendent pour le croquer, il réfléchira à deux fois le petit oiseau avant de glisser entre les nuages et d'embrasser l'azur. Et c'est normal. Il n'est pas bête le petit oiseau. Si la porte de la cage est ouverte et s'il reste il ne se sentira pas prisonnier, il aura choisi et ça change tout...

Le temps me domine et il a fini par gagner. Pas de temps pour moi, peu pour les autres, à peine pour la vraie vie, celle qui s'arrête enfin et qui vous permet de sentir le vent sur la peau; d'entendre le chant des oiseaux quand arrive le printemps, le temps de rêver aussi, à un autre avenir, pas meilleur, mais juste différent.

...ils ne s'aimaient plus, je le savais, mais ils faisaient tout pour que cela ne se voie pas, ce qui signifiait qu'ils aimaient plus leurs enfants qu'eux-mêmes.

Elle disait aussi qu'être conscient du malheur des autres donnait de la lumière à sa propre vie, que cela forçait à ne pas trop se plaindre, à se contenter de ce que l'on avait, même si ce n'était pas le paradis, il y avait des gens qui connaissaient l'enfer sur terre et ça, par respect, il ne fallait jamais l'oublier.

Le désir ne se tient jamais loin de la violence.

Personne au bout du compte ne vit pour soi. On a toujours besoin du regard de l'autre pour se sentir exister. C'est toujours l'histoire du cordon. On le coupe et très vite il faut en reconstruire un autre parce que le vide fait si peur.
Tristesse 7 étoiles

L'histoire d'une femme d'un peu plus de cinquante ans qui décrit son existence.
Elle vient de vivre une séparation tiède, sans cri et sans larme et parle en toute simplicité de la fadeur de ses relations aussi bien avec son passé que dans son travail ou dans son couple moribond.

En général je referme au tout début les romans qui "nombrilisent" mais je pense que ce court texte mérite qu'on le lise avec délicatesse.
Le fait qu'il soit édité chez Lattès, réputé pour la qualité de ses éditions, y est aussi pour beaucoup
Outre la qualité de l'écriture, le ressenti de cette femme est remarquablement structuré et fouillé avec calme et sereinement.
Un livre triste mais il faut se dire que la vie n'est pas pour tous une fête, un livre profondément engagé dans la féminité, un livre qui m'a ému par la lucidité de ses propos et la fouille introspective à laquelle se livre Sylvie Meyer.


Voilà ce qui se lit dans les premières pages comme une introduction :
" Je ne connais pas la violence et je n’ai reçu aucun enseignement de la violence, ni gifle, ni coup de ceinture, ni insulte, rien. La violence que l’on porte en soi et que l’on réplique sur l’autre, sur les autres, celle-là aussi m’est étrangère. "

Monocle - tournai - 64 ans - 23 juin 2022


La révolte 7 étoiles

Sylvie, la cinquantaine, vient d’être quittée par son mari. Son patron lui confie la tâche ingrate de faire une liste de personnes à licencier dans le but de faire plus de profit, sans qu’elle juge cela nécessaire. C’est le point de rupture ! La rage s’empare d’elle tout-à-coup, elle remonte de loin et enfle. Puis, un soir, la révolte déborde du vase...
Tout s’explique lorsque le lecteur apprend que Sylvie a été victime d'un traumatisme qu'elle a enfoui au fond d’elle-même… et il a fini par ressortir.
L’héroïne semble vivre sa vie en se laissant porter, sans se poser de questions, en laissant son couple partir à vau-l’eau, sans essayer de le maintenir à flots par la communication. Elle dit être emportée par le temps qui file, passive. Elle laisse partir son mari sans un mot. Elle se révolte le temps d’une nuit, puis se laisse à nouveau emporter par les événements. C’est un peu désespérant.

Pascale Ew. - - 57 ans - 14 mai 2022


conte philosophique et féministe 8 étoiles

«Otages »
Roman de Nina Bouraoui
éditions JC Lattès
152 pages
décembre 2019

C'est d'abord la séparation après des années de vie commune entre l'héroïne et son mari.
Il a dit un jour qu'il partait et il a quitté le domicile conjugal.
Comme l'explique Sylvie qui se conte :
« Il y avait un mur entre mon mari et moi. Un mur qui s'est construit peu à peu. Au début, c'était une petite ligne, puis une petite marche. »
Si rien n'arrive, une autre pierre s'accroche et une autre encore.
Il y a là une muraille infranchissable, indestructible.
Autrefois, les couples s'usaient, passaient d'une dispute à l'autre mais le poids de l'habitude et la peur de l'inconnu faisaient qu'on restait ensemble, sans amour.
Aujourd'hui, c'est est fini du « malgré tout », les couples se défont définitivement.
C'est mieux que la violence qui peut s'installer.
Sylvie sent de la violence en elle mais pas contre le père de ses deux garçons. Elle l'aime encore et regrette ces habitudes, ces pertes de tendresse, de petites folies.
La violence qui est en Sylvie l'emprisonne, la fait souffrir, l'empêche de se révéler, de vivre, de s'exprimer vraiment.
L'attitude de son patron qui l'oblige à être le chien de garde de l'entreprise va être un révélateur.
Au début, elle accomplit sa mission avec brio mais peu à peu elle ne se reconnaît plus.
Il a détruit son mur, pas celui qui la séparait de son mari mais le mur « qui sépare le bien du mal » avant comme elle le crie « je me tenais du bon côté....j'avais mes défauts, mais j'avais ma conscience. »
Il lui faut agir, se révolter, tant pis pour les risques encourus.
A cinquante ans il faut oser ou disparaître.
Mais que cache t-elle ?
Pourquoi a t-elle une telle attitude.
Chacun d'entre nous a un secret, Sylvie a le sien que l'auteur livrera à la fin comme si elle écrivait un roman policier.
Ce livre bien rythmé, écrit avec goût est qu'on le veuille ou pas une œuvre féministe qu'on ne peut qu'aimer.
Jean-François Chalot

CHALOT - Vaux le Pénil - 76 ans - 1 avril 2021