Rock
de Philippe Manoeuvre

critiqué par Bookivore, le 11 juillet 2021
(MENUCOURT - 42 ans)


La note:  étoiles
Phil Man
Hé oui, c'est de Philippe Manoeuvre, alias Phil Man, alias Philou le fou, alias "mais putaiiiiiiiin", que l'on va parler aujourd'hui. Ah, Manoeuvre... comment vous dire ? Comme il est indiqué au verso de la couverture de ce livre sorti en 2018 chez Harper Collins, Manoeuvre est considéré comme l'homme du rock en France. C'est peut-être réducteur pour certains, pour beaucoup, car il y en a d'autres qui, moins connus, moins médiatiques que lui, s'y connaissent autant. Paringaux, Alessandrini, Garnier, Yves Adrien, j'en passe.
Mais voilà, il en faut un qui soit le représentant du rock en France, et avec sa gouaille de natif de la Marne, avec ses éternelles lunettes noires ("c'est son look, ma poulette", aurait répondu Gainsbourg à une fille qui, un jour, aurait demandé à Manoeuvre pourquoi il portait toujours ses lunettes noires), avec son attitude qui fut qualifiée d'irrévérencieuse et qui symbolise bien le côté déconne du rock, et avec, aussi, son ancien rôle de présentateur TV ("Les Enfants Du Rock" "Sex Machine" ,"Top Bab"), son ancien rôle de journaliste et aussi de rédacteur en chef de "Rock'n'Folk" (dont il a cédé la place en 2017, ayant pris sa retraite ; il gérait le magazine depuis 1993), et ses participations télévisuelles et radiophoniques aux "Grosses Têtes", avec tout ça inutile de dire que, oui, Manoeuvre est le plus connu de nos rock-critics.

Il a sorti pas mal de bouquins, le Phil Man. Une première autobiographie en 1990, "L'Enfant Du Rock". Un recueil de chroniques et d'interviews de rockeurs et de fortes têtes, "Dur A Cuir". Des livres sur Michael Jackson, les Stones, une biographie de JoeyStarr faite avec le principal intéressé, une autre, là aussi faite avec le principal intéressé, sur Polnareff. Il a aussi publié deux tomes (séparés de quelques années) de sa fameuse "Discothèque Rock Idéale" initialement publiée, mensuellement, dans "Rock'n'Folk". Ainsi que "Collector", en 2017, sur des albums méconnus, oubliés, n'ayant pas eu de bol, mais ayant tout des plus grands, et qu'il vénère comme de vrais classiques. Ces trois derniers livres que je cite ont été, pour moi, des sources d'inspiration. Il a fait d'autres livres, a collaboré à d'autres, vous vous en doutez bien.
Et en 2018, il publie, chez Harper Collins donc, en format mi-poche, un livre peu épais (280 pages, avec cahier de photos couleurs et noir & blanc au centre) mais vraiment très réussi, qui sera un immense succès de librairie (épuisé assez rapidement, puis réédité ; j'ai eu un peu de mal à trouver le livre, quelques semaines après sa sortie, alors qu'il devenait déjà difficile de mettre la main dessus et que certains le revendaient déjà hors de prix sur la Toile). Un livre sorti sous un titre des plus cons, simplistes, évidents, faciles, logiques : "Rock". Avec le lettrage "Rock'n'Folk" (du moins, le précédent, car ils sont revenus au lettrage des premiers jours) et une photo sympa d'un Manoeuvre portant ses éternel(le)s :

a) lunettes noires ;

b) blouson de cuir ;

c) t-shirt des Stones.

Passque Phil Man, c'est les Stones qu'il préfère. Entre autres (passez-lui "Fun House" des Stooges et il se transforme en fou furieux qui gesticule partout et qui braille ''fooooooooooque' à tire larigot).

On connaît Manoeuvre, on sait qu'il a tendance à enjoliver des trucs, à en rajouter peut-être, mais gageons que la majeure partie, voire même l'ensemble, de ce qu'il raconte a été vécu. Une vie de rêve. Avec des détails qui peuvent parfois sembler anodins au plus extrême abord, comme ce passage où, âgé de 17 ans, il se rend à Auvers-sur-Oise pour assister à un festival rock organisé là-bas par le Grateful Dead (déjà ça peut sembler incongru, mais pourtant, c'est bel et bien là que le Dead voulait organiser un festival ; le Château d'Hérouville, fameux studio, est à quelques kilomètres, c'est moi-je, un natif du coin, qui est né dans les environs et vit pas très loin, qui vous en parle). Il y va avec une amie du bahut, ils viennent d'obtenir le bac, c'est une sorte de cadeau d'anniversaire (il est né en juin, en 54). Avec 50 francs en poche (pour l'époque, c'était pas mal quand même), filés par sa grand-mère, Phil arrive sur place, assiste aux premiers concerts (un power-trio de hard-rock qu'il ne cite pas), la pluie tombe dans la soirée, le Dead, que Manoeuvre voit monter sur scène, renonce à jouer. Manoeuvre dort dans l'école maternelle pour s'abriter de la pluie qui, à Auvers comme ailleurs, peut être redoutablement humide, et repart, le lendemain, déçu, détrempé. Il arrive à Paris, et boulevard Saint-Germain, passant devant la boutique d'imports de disques Givaudan, voit dans la vitrine "L.A. Woman" des Doors, tout juste arrivé en import des USA. Il entre demander le prix ; le vendeur, regardant ce jeune con aux vêtements sans doute un peu abimés par la pluie de la veille, et se disant qu'il n'a pas une thune, lui dit "44 francs". L'air de dire "allez t'es bien gentil, mais rentre chez toi, de vrais clients peuvent arriver d'une minute à l'autre".
Disque acheté avec le billet non utilisé la veille.
Ou comment un souvenir cuisant (cadeau d'anniversaire gâché) devient un souvenir attachant. Il aurait pu choisir un autre disque, il a juste pris un des piliers du rock.

Des trucs comme ça, dans le livre, il y en à légion, car ils sont nombreux (Evangile de Saint-Marc, 5:9). Manoeuvre se rend chez Gainsbourg (avec qui il était très lié d'amitié), sa fille Manon, bébé, en main. Le Sergio, le voyant débouler avec ce paquet vivant en main, s'exclame, amusé, "c'est quoi, ça ?" et finira par lui expliquer comment changer une couche et préparer le biberon. Manoeuvre donne aussi la recette du cocktail préféré de Gainsbourg, le Scorpion : 5/10 de rhum Bacardi, 2/10 de liqueur d'abricot, 1/10 de jus de citron, 2/10 de jus d'ananas, un peu de grenadine, le tout au shaker. N'essayez pas ça chez vous, Serge et Phil sont des professionnels. Apparemment, c'est terrifiant, et Manoeuvre le dit sans honte, il est devenu alcoolo à l'époque de ses virées avec Serge Gainsbourg, dans les années 80.

Tout "Rock", qui se lit avec une facilité déconcertante, comme si on était en train de discuter avec l'auteur qui nous raconterait sa vie, est comme ça. Madonna, Johnny, Prince, Michael Jackson (l'histoire du tutu de la fiancée américaine du rubgyman Jean-Pierre Rives, tutu que Bambi convoitait, est à tomber), les Stones, Gainsbourg, JoeyStarr, les punks (Manoeuvre a fait la guerre du Chalet du Lac, quand les Sex Pistols ont saccagé, le temps d'une soirée privée organisée par leur management, ce lieu parisien, gros scandale à l'époque), Polnareff (qui mixait à poil dans son studio, sans gêne, sans problème, à la grande surprise d'un Phil Man quelque peu interloqué et embarrassé de voir la bitoune de l'Amiral), et aussi "Métal Hurlant", ce magazine de BD SF/rock mythique et insolent qu'il a géré dans les années 70, aux côtés de Moebius, Druillet, Jean-Pierre Dionnet. Les Humanoïdes Associés, leur maison d'édition (dont les livres sont aujourd'hui assez courus)...son arrivée à "Rock'n'Folk", comme pigiste, vers 1974. Son ascension dans le magazine, dont il était au début un trublion irrévérencieux pour qui rien n'était sacré sauf le gros rock qui sent la Castrol avec qui on rigole et la Motul avec qui on s'enc..., enfin bref. La télévision ("Les Enfants du Rock", tudieu, quelle émission !!), les interviews de stars, la drogue aussi, tout y passe, avec son style inimitable sous influence Lester Bangs/Hunter S. Thompson, ses idoles, qu'il a par ailleurs rencontré.

Vous aimez le rock ?
Vous aimez les destins incroyables ?
Vous aimez les bonnes anecdotes ?
Vous aimez les chips (aucun lien avec le livre) ?
Vous voulez un bouquin passionnant et facile à lire ?
"Rock" vous tend les bras, ayant reçu ses deux doses de vaccin !