Le Secret Hemingway
de Brigitte Kernel

critiqué par Nathavh, le 11 février 2020
( - 60 ans)


La note:  étoiles
Touchant
Ce roman est inspiré d'une histoire vraie, celle du fils cadet d'Ernest Hemingway et Pauline Pfeiffer. Né en novembre 1931 dans un corps masculin, Gregory , emprisonné dans ce physique qui n'est pas le sien, deviendra femme en 1995 à l'âge de 64 ans et s'éteindra en Gloria en 2001.

C'est l'histoire d'une vie difficile. Pauline et Ernest Hemingway espéraient une fille, c'est Grégory qui est né, ils l'appelaient Gigi et jusque l'âge de sept ans l'ont habillé en fille. Cela a-t-il changé le cours des choses?

A l'âge de dix ans et demi, Grégory surprend son père avec l'une de ses maîtresses, il subtilise ses dessous et les essaie, c'est là que naît Gloria. Son père, le célèbre "prodige de la littérature américaine" est choqué et lui dit "Tu ne seras jamais ça", c'est le rejet et à partir de ce moment Gigi devient Gig, Gloria nous raconte que "Ainsi devins-je sa honte, son secret bien gardé".

C'est en effet une autre facette du génie de la littérature américaine que nous présente avec beaucoup de tendresse et avec brio, Brigitte Kernel.

Grégory, Gloria deviendra avant sa déchéance un médecin, père de huit enfants, marié quatre fois avec trois femmes.

On retrouve Gloria en prison à Miami, arrêtée pour attentat à la pudeur dans un bar suite à la consommation de drogues et d'abus d'alcool. C'est en prison qu'elle va nous raconter sa vie, son parcours, ses amours, ses zones d'ombres, son mal être, sa vie durant dans un corps qui n'était pas le sien.

Elle nous raconte son enfance, une mère morte jeune qui voulait une fille et qui ne l'a jamais vraiment aimée, sa mère dont on l'accuse de l'avoir tuée. Gloria ne supportant pas l'injustice, se battra pour rétablir la vérité et prouver le contraire.

Un père célèbre, pour qui elle est la honte, un père qui l'adore pourtant mais en secret car il ne peut accepter l'état transgenre de Grégory, et plus tard sa honte encore plus grande lorsqu'il sera radié de l'ordre des médecins.

Ce roman, c'est aussi des histoires d'amour, la plus belle avec Ida qu'il épousa deux fois, l'amour pour ses enfants qui le poussa à attendre d'avoir 64 ans avant de prendre vraiment son corps de femme.

Et puis, il y a aussi la peur, l'insulte difficile à vivre pour Gloria suite surtout aux violences dont elle fut l'objet avec Douglas Robinson.

Un autre aspect traité avec délicatesse par l'auteur est la malédiction des Hemingway et les idées suicidaires de nombreux membres de la famille.

Il y a beaucoup d'autres choses magnifiques dans ce roman. L'écriture est fluide, les mots doux, bien choisis. Ce récit m'a emportée, j'ai appris beaucoup de choses. Un petit bijou à lire sans modération.

C'est un coup de coeur pour moi. ♥♥♥

Les jolies phrases

Je suis une femme. Je suis simplement née dans un corps d'homme.

La bête était en lui comme elle est en moi. Une bête qui va à l'abattoir sans verser une larme. Mais qui voudrait retenir encore un peu le temps avant l'heure de la mise à mort.

On peut tous tuer à un moment ou à un autre, c'est la faille en nous qui hurle à l'injustice, un cri depuis longtemps bridé.

Les mots sont plus violents que les coups.

Mais les insultes, c'est le pire, ça ne cicatrise pas. C'est la terreur inscrite en vous, le tatouage odieux partout à l'extérieur et à l'intérieur de soi.

Sous la carapace rugueuse de son père, son caractère d'ours, une subtile délicatesse.

Vous savez, ce n'est pas le nombre d'échardes que nous avons dans le coeur qui compte, c'est la profondeur des cicatrices mal refermées.

Avez-vous déjà observé un amateur d'arabica à la seconde où ses lèvres effleurent la mousse du nectar ? Son régal l'apaise et son apaisement le régale.

Allez savoir. Les auteurs sont de telles éponges, des mousses imbibées de détails appartenant à la vraie vie. Ces reliefs, ces rondeurs et ces senteurs qui font l'existence. Ils sculptent leur oeuvre, refondent la réalité et la dépassent parfois, avides de trouvailles. "Un écrivain, jurait Ernest, doit dépasser la réalité pour la rendre plus vraie. Le mensonge doit paraître plus véritable que le réel.

Quel est le pire enfermement ? Ici, entre ces murs? A la clinique des fous et des fragiles sous calmants ? Dans son corps d'homme autrefois ? Ou cette enveloppe de femme aujourd'hui quand Ida ne veut plus me toucher ?

La célébrité a un prix car, toujours, elle devient agression, et impossible de la ranger dans un coin de sa poche. Comme le ver coupé en deux, elle survit à elle-même.

Je veux t'aider, Gloria, tu es si douce, rares sont les êtres bienveillants et purs comme toi. Tu es née dans le mauvais corps, il faut que tu deviennes toi, sinon tu ne feras que survivre puis mourir à feu doux.

Il n'est pas facile d'être la progéniture d'un homme célèbre, son ombre vous couvre tout entier d'un voile, une sorte de toile de cinéma sur laquelle chacun projette son idée du grand homme, son fantasme éveillé.