Dossier confidentiel
de Louis Guilloux

critiqué par Fanou03, le 3 février 2020
(* - 49 ans)


La note:  étoiles
La médiocrité du Monde
À l’aube de la Première Guerre mondiale, Raymond, le narrateur de Dossier confidentiel, est un lycéen qui vit chez un oncle brutal, dans une petite ville de l’arrière qui va accueillir des réfugiés fuyant les combats, des soldats en convalescence et des prisonniers allemands. Sa rencontre avec Laurent et Lucie, deux jeunes gens de son âge à fleur de peau, révoltés par la guerre et le fonctionnement de la société, va complètement changer son regard et sa vie.

C’est peu dire que tout est désespéré dans cet œuvre : les jeunes « héros » de Dossier confidentiel constatent en effet avec écœurement le pourrissement du Monde ainsi que son irrémédiable corruption. La violence et l’absurdité de la Guerre en un des symptômes ; la toute puissance de l’argent qui vient écraser les destins individuels, en est un autre.

Les deux parties de Dossier confidentiel, assez différentes l’une de l’autre, sont à l’origine d’un certain déséquilibre dans le roman. La première partie relève en effet d’un récit d’initiation, d’amitié et d’amour (même si les deux finissent mal) où l’on voit Raymond arriver à l’âge adulte en ayant perdu le peu d’illusion qui pouvait éventuellement lui rester. Je ne sais pas pourquoi Louis Guilloux n’a pas construit l’entièreté de son roman sur cette partie ; de fait on dirait qu’il l’a écourtée, pressé d’en finir avec ses personnages. C’est bien dommage, car il nous offre de fort belles pages sur les questionnements adolescents et leur révolte, et personnellement je me suis senti un peu frustré que cela aille aussi vite. La deuxième partie est presque encore plus noire que la première, du fait de la solitude extrême du narrateur et de sa misanthropie. Les portraits des hôtes de l’auberge où logent Raymond et sa tante sont pareil à des caricatures de Daumier, ridicules et effrayantes.

Tout n’est que médiocrité dans le monde de Dossier confidentiel, dans lequel il n’y a pas de place pour les âmes pures. La remarquable écriture de Louis Guilloux, nerveuse, tendue, trace une ambiance bien sombre et pessimiste et semble condamner à jamais la platitude et la perversion de nos petites vies bourgeoises.