Elias Portolu
de Grazia Deledda

critiqué par Poet75, le 14 janvier 2020
(Paris - 67 ans)


La note:  étoiles
Une âme tourmentée
À l’heure où l’on a cru que le pape émérite Benoît XVI sortait de sa réserve pour réaffirmer, conjointement avec le très conservateur cardinal Sarah, son attachement indéfectible au célibat des prêtres, il peut être judicieux de lire ce roman de la romancière italienne Grazia Deledda (1871-1936), prix Nobel de Littérature en 1926. Plusieurs œuvres de cette écrivaine viennent d’être rééditées par les éditions Cambourakis, parmi lesquelles Elias Portolu (1903), présenté comme un chef d’œuvre.
C’est sans nul doute un roman de qualité remarquable, dont l’action se situe en Sardaigne, la terre d’origine de la romancière. Celle-ci émaille d’ailleurs son texte de mots et d’expressions propres à cette île, ce que la traduction française essaie de conserver. Car c’est dans la ruralité profonde que tout se déroule, dans un village de fermiers et de bergers, là où, après des années d’emprisonnement dont on ne connaît pas la cause, rentre au bercail Elias Portolu, qui y retrouve ses parents et ses deux frères.
L’homme est décidé à mener une vie nouvelle, d’autant plus que sa mère, femme d’une grande piété, l’y encourage fortement. Or, à la maison, on s’apprête à célébrer le mariage de Pietro, le fils aîné, avec la belle Maddalena. En la voyant, Elias est aussitôt pris de passion et de désir, ce à quoi la jeune femme est loin de rester insensible. En vérité, celle-ci ne tarde pas à ressentir une préférence pour Elias, plutôt que pour celui qu’elle doit épouser, Pietro. Ils sont irrésistiblement attirés l’un vers l’autre, ce qui provoque des tourments sans fin pour le jeune homme. Essayant d’échapper à la tentation, il s’isole dans une bergerie, mais, quoi qu’il fasse, il continue de brûler d’amour et de désir.
Dès ce moment-là, Elias songe très sérieusement à devenir prêtre, afin de se soustraire, s’il est possible, par ce moyen, à la passion qui le dévore. Il se confie à l’abbé Porcheddu, un prêtre des environs, qui l’encourage à persévérer dans ce projet et qui se déclare prêt à entreprendre les démarches nécessaires pour le faire entrer au séminaire. Quand la mère d’Elias est mise au courant, elle se réjouit : « C’était sa voie, dit-elle, la voie du Seigneur, car, s’il restait dans le monde, il était un jeune homme perdu. »
Comme si une telle éventualité mettait à l’abri des tentations ! Bien évidemment, il n’en est rien. Elias et Maddalena sont toujours autant attirés l’un par l’autre et, bientôt, alors que le mariage avec Pietro a été célébré, la jeune femme révèle à son amant qu’elle est enceinte de lui. Grazia Deledda raconte les souffrances d’un homme tiraillé par ses sentiments et croyant, de bonne foi, que sa vocation à la prêtrise le délivrera, si elle se concrétise. Car, quoi que secrètement père d’un enfant, il ne renonce pas à ce projet, toujours encouragé d’ailleurs par l’abbé Porcheddu. Quand il devient effectivement prêtre, en a-t-il fini d’un seul coup avec ses obsessions et ses tentations ? Ce n’est évidemment pas si simple, puisqu’il ne suffit pas d’être ordonné pour être différent des autres hommes, contrairement à cette sorte de trompeuse « mystique » du sacerdoce qui a prévalu au cours des siècles. Et la romancière conduit son admirable et déchirant récit jusqu’à une conclusion inattendue, terrible et, paradoxalement, apaisante, sous le regard du « Seigneur grand et miséricordieux ».