Arbres d'hiver précédé de La Traversée
de Sylvia Plath

critiqué par Septularisen, le 28 décembre 2019
( - - ans)


La note:  étoiles
«Et j'aime ta stupidité, Son miroir aveugle où je plonge mon regard, Pour n'y voir que moi, et ça te fait rire.»
C'est toujours délicat de faire la recension de la poésie d'une icône, dont la renommée ne cesse de s’étendre, au point qu’elle est l’objet d’un véritable culte aux États-Unis.

Disons simplement que «La Traversée» se compose de trente-quatre poèmes et «Arbres d’hiver», de dix-huit. Comme pour le recueil «Ariel», publié en 1965 (et ici sur CL : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/45014), ceux-ci ont été publiés par le veuf de Sylvia PLATH (1932 – 1963), j’ai nommé le poète Ted HUGHES (1930 - 1998), en 1971.
Ils présentent un univers très nuancé, où les démons habituels et familiers de Mme. Sylvia PLATH paraissent, sinon exorcisés, en tout cas moins menaçants que dans ses autres œuvres. Ce n’est bien entendu qu’une illusion au vu de ce que l’on sait de la vie de l’auteur.

«La Traversée» («Crossing the Water», littéralement la traversée de l’eau) constitue une métaphore essentielle et changeante de l’eau, bien que celle-ci ne soit pas présente dans tous les poèmes. C’est une ode à la vie et à la nature, bien que l’on y retrouve aussi bien sûr l’univers très sombre, caractéristique de Mme. PLATH. Le sentiment de manque et de perte est omniprésent, comme celui de la colère contre Dieu. C’est romantique, parfois surréaliste, parfois expressionniste, et cela tient souvent de la confession :

«JE SUIS VERTICALE»

Mais je voudrais être horizontale.
Je ne suis pas un arbre dont les racines en terre
Absorbent les minéraux et l’amour maternel
Pour qu’à chaque mois de mars je brille de toutes mes feuilles,
Je ne suis pas non plus la beauté d’un massif
Suscitant des Oh et des Ah et grimée de couleurs vives,
Ignorant que bientôt je perdrai mes pétales.
Comparés à moi, un arbre est immortel
Et une fleur assez petite, mais plus saisissante,
Et il me manque la longévité de l’un, l’audace de l’autre.

Ce soir, dans la lumière infinitésimale des étoiles,
Les arbres et les fleurs ont répandus leur fraîche odeur.
Je marche parmi eux, mais aucun d’eux n’y prête attention.
Parfois je pense que lorsque je suis endormie
Je dois leur ressembler à la perfection--
Pensées devenues vagues.
Ce sera plus naturel pour moi, de reposer.
Alors le ciel et moi converserons à cœur ouvert,
Et je serai utile quand je reposerai définitivement :
Alors peut-être les arbres pourront-ils me toucher, et les fleurs m’accorder du temps.

«Arbres d’hiver» («Winter Trees»), est considéré comme le complément du précédent. Il regroupe les poèmes écrits de fin septembre 1962 au début février 1963 (Sylvia PLATH se donnera la mort le 11 février 1963). Il n’y a toutefois pas ici de désespoir, pas d’’appel au suicide, mais des «traces» lumineuses de vie! C’est la poésie d’une femme maintenant apaisée, lucide, seule, sincère, en introspection avec elle-même, elle qui a tout laissé derrière elle, et qui n’a plus peur de la mort! Cela devient alors plus une sorte de journal intime que de la poésie à proprement parler, mais c’est toujours d’une beauté stupéfiante…

«ARBRES D'HIVER»

Les lavis bleus de l'aube se diluent doucement.
Posé sur son buvard de brume
Chaque arbre est un dessin d'herbier —
Mémoire accroissant cercle à cercle
Une série d'alliances.

Purs de clabaudage et d'avortements,
Plus vrais que des femmes,
Ils sont de semaison si simple!
Frôlant les souffles déliés
Mais plongeant profond dans l'histoire —

Et longés d'ailes, ouverts à l'au-delà.
En cela pareils à Léda.
Ô mère des feuillages, mère de la douceur
Qui sont ces vierges de pitié?
Des ombres de ramiers usant leur berceuse inutile.

Il y a ici une véritable «intensité poétique», des images. Toujours belles, parfois troublantes, souvent en rapport avec les sujets les plus banals de la vie quotidienne. Sylvia PLATH dispose de tout un stock de souvenirs... Les siens! D’après elle, le ciel est vide, et on ne peut compter sur Dieu, le secours ne pourra venir que de l’écriture…

«MYSTIQUE»

L’air est tissé d’hameçons
Zébré de questions sans réponse,
Comme des taons, étincelants, saouls,
Dont les baisers virulents brûlent
Dans le ventre fétide et noir de l’air d’été sous les pins.

Je me souviens
De l’odeur morte du soleil sur le bois des cabines,
De la raideur des voiles, des longs linceuls de sel,
Dès lors qu’on a vu Dieu, quel remède ?
Dès lors qu’on est monté au ciel

Sans avoir rien laissé de soi,
Pas un doigt, pas un os – usé
Jusqu’à la moelle, usé dans les brasiers du ciel,
Les traînées rayonnant autour des cathédrales -
Quel remède ?

Le cachet à prendre à la Sainte Table,
La marche au bord des eaux ? La mémoire ?
Ou l’art d’assembler des reflets du Christ
Sur le faciès des rongeurs,
Radoteurs, gobeurs de bluettes

Aux espoirs si bas qu’ils en sont confortables –
La bossue dans sa maisonnette
Aux petits murs blancs sous les clématites.
Et nul grand amour, rien de tendresse ?
La mer se souvient-elle

De celui qui marchait sur elle ?
Le sens découle des molécules.
La vitre sue, les cheminées respirent sur la ville,
Les enfants sautent sur leurs lits.
Le soleil fleurit, c’est un géranium.

Le cœur ne s’est pas arrêté.