Chaplin, Tome 1 : En Amérique
de Laurent Seksik (Scénario), David François (Dessin)

critiqué par Blue Boy, le 26 décembre 2019
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
L’incroyable ascension du roi du burlesque
Quand Charlie Chaplin débarque en Amérique en 1912, il avait faim, et dans tous les sens du terme. L’acteur, qui avait connu la misère dans son Angleterre natale, rêvait de conquérir Hollywood. Pour cela, il investit tout son sens comique exceptionnel qui le propulsera vers les sommets de la gloire. Charlie deviendra alors Charlot, avec sa fameuse moustache et son accoutrement si caractéristique. Six ans plus tard, Chaplin était devenu la première star de l’histoire du cinéma, avec une popularité qui s’était élargie au monde entier. Pour la première fois, une bande dessinée est consacrée à ce bouffon du 7e art, dont la carrière ne fut pas qu’une partie de rigolade.

Si tout le monde connaît bien cette icône du cinéma muet qu’est Charlot, peu connaissent réellement le personnage qui l’incarnait. Né dans un quartier miséreux de parents au destin cabossé, tous deux artistes de music-hall, l’acteur avait commencé très tôt à se produire sur scène. Alors que sa carrière tardait à décoller dans la vieille Angleterre victorienne, il prit la décision de se rendre aux Etats-Unis, terre de tous les possibles, son obsession étant de devenir riche et célèbre. C’est Hollywood, alors en phase de devenir le centre incontournable de l’industrie du cinéma, qui, en détectant son sens exceptionnel du burlesque, lui permit de propulser sa carrière vers des hauteurs inégalées jusqu’alors. Il y eut le revers de la médaille avec par la suite moult polémiques, la toute première émanant de la presse britannique qui lui reprocha d’avoir traversé l’Atlantique afin d’échapper à la mobilisation lors du premier conflit mondial de 1914-18.

C’est donc David François qui s’est vu confier la mission de redonner vie en dessin à Sir Charles Spencer Chaplin. De façon presque logique, puisqu’à la lumière de sa bibliographie, le co-auteur (avec Régis Hautière) de « De Briques et de sang » et plus récemment du « Vendangeur de Paname » semble avoir un goût particulier pour la Belle époque. Son trait, tout en ondulations fantasques et dynamiques, possède une qualité un rien désuète tout à fait adaptée à un tel récit, que vient rehausser une colorisation soignée. Dans une mise en page plutôt créative, David François s’en donne à cœur joie pour dessiner les scènes muettes, souvent burlesques — avec un joli clin d’œil au futur « Dictateur » où l’on voit Charlot, croyant à un avenir plein de promesses, s’amuser avec une Lune-ballon sous la voûte étoilée. La représentation pleine page des vues urbaines est splendide, notamment celle, fantasmée, de l’arrivée à New York de Chaplin, ce qui permet de mesurer tout le talent de l’auteur. Ce qui fonctionne moins, en revanche, c’est la façon dont est présentée la star. Le lecteur pourra être surpris voire déconcerté de le voir sous les traits d’un jeune homme élancé au visage en lame de couteau, avec des petits yeux de renard, pas spécialement avenant en séducteur arrogant… Un décalage énorme avec l’image que l’on peut avoir de « notre Charlot », ce petit bonhomme attachant à l’allure cocasse, bloquant toute empathie pour ce dernier dans ses mauvaises passes. Un parti pris qui nuit à la crédibilité de l’histoire, si authentique soit-elle.

Toute en respectant la chronologie, le scénario de Laurent Seksik, co-auteur avec Guillaume Sorel d’une excellente bio sur Stefan Zweig (« Les Derniers jours de Stefan Zweig »), fait la part belle aux anecdotes. Entrecoupée des digressions muettes de David François, la narration peine toutefois à nous offrir des moments véritablement forts et marquants. C’est un peu dommage, même si à la fin de ce premier tome, l’envie de connaître la suite de ce triptyque annoncé subsiste.