Lettres à un jeune homme - 1941-1944
de Max Jacob

critiqué par Débézed, le 8 novembre 2019
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Courrier intime
Au printemps 1941, Jean-Jacques Mezure, terminait sa formation de céramiste à Vierzon quand un ami lui raconta sa rencontre avec Max Jacob, il décida alors de lui adresser une lettre pour lui exposer toutes les préoccupations qui le tracassaient, en espérant tout au plus une réponse de courtoisie. Mais le peintre et poète lui retourna une longue missive répondant point par point aux questions posées. Une longue correspondance venait de naître, le jeune homme avait 19 ans, l’artiste en avait 65. Jean-Jacques Mezure a conservé miraculeusement ces lettres reçues entre le 27 mai 1941 et le 20 janvier 1944, elles ont été retirées des débris d’un bombardement, cinquante et une ont été sauvées et ont pu faire l’objet d’une première publication en en 2009. Celle-ci en est la troisième, elle a été établie par Patricia Sustrac.
Dans une note liminaire présentant cette correspondance, cette dernière précise les trois points principaux qui font l’objet de l’échange entre l’artiste âgé et le jeune homme à la recherche de son destin. Elle écrit : « Ainsi les trois piliers de sa vie, la peinture, l’écriture et la foi, entourèrent cet homme vieillissant » durant les trois dernières années de sa vie. L’amitié, l’affection, l’intimité qui se dégagent des lettres du peintre se sont progressivement développées entre les deux correspondants notamment quand ils ont échangé des avis concernant la vocation que le jeune homme pourrait avoir et que Max Jacob lui conseillait de ne pas suivre sans une certitude absolue. La foi et la piété semble des questions fondamentales dans la vie du peintre, plus que la spiritualité que son mysticisme semble avoir quelque peu éluder. Juif converti au catholicisme, il était extrêmement pieux, d’une piété janséniste qui empiétait largement sur sa vie et sur son art.

Ils ont aussi échangé longuement sur l’art, la beauté et l’esthétique, l’aîné recommandant toujours au plus jeune de se méfier de ceux qui monnaient les œuvres d’art. il parle plus de littérature que de peinture qu’il évoque surtout comme une forme de travail et de moyen d’existence. Ils parlent assez peu de la guerre sauf quand elle contrarie leur désir mutuel de rencontre. Jacob à Saint-Benoît-sur-Loire, en retraite mystique, et le jeune homme travaillant à Vierzon, ils sont relativement proches l’un de l’autre mais tout de même fort éloigné si l’on considère les moyens de locomotion existant à cette époque. Ils ne se rencontreront jamais, Mezure renoncera à sa vocation. Ils parleront alors plus d’art et de poésie.

La vie devenant de plus en plus contrainte par l’occupant et la pénurie, Max Jacob faiblit, il ne peut pas s’alimenter suffisamment. Il ne se plaint jamais, supporte la souffrance, l’appelle même. « Je souhaite les fléaux qui feront de moi un être doux et humble de cœur…. Je souhaite aussi la mort car ma vie est finie et je n’ai plus que troubles et angoisses et déséquilibre aussitôt que je cesse de fixer Dieu ». S’il ne craint pas la mort, il souffre de celle des siens. Du décès de son frère, de la déportation de sa famille… Sa piété lui permet de supporter la souffrance et la maladie avec une grande force de caractère et beaucoup de courage. « La maladie est une preuve et une épreuve. Dieu fait souffrir ceux qu’il aime ».

En lisant ces lettres on a grande envie d’admirer et même d’aduler cet homme de grand talent, d’immense culture, de profond humanisme, de grande générosité et de très forte piété semblant toujours être disponible pour son prochain, et pourtant certains passage de ses lettres le rendent beaucoup moins sympathiques. Il est profondément misogyne, quand Mezure lui parle de son mariage, il lui écrit : « Il n’y a pas de jours où je ne me félicite de ne pas m’être marié, c’est tout. A cause de la stupidité absolue de toutes les femmes, stupidité reconnue par tous les hommes supérieurs et par l’Eglise ». Des propos très durs et franchement inacceptables. De même quand il évoque ceux qu’il estime être de mauvais chrétien ou même carrément des mécréants, il écrit « Ce sont des Parisiens, un peu trop parisiens, travailleurs et indécents dans leur propos et leurs gestes. un vieux pécheur comme moi n’a pas à les condamner mais je pense que Dieu n’a pas raison d’éviter les malheurs à un peuple aussi peu respectueux de Sa Présence. Ah nous ne méritons pas mieux ! Il faut l’avouer ». Chacun aurait ce qu’il mérite !

Ces taches ne m’empêchent cependant pas de dire que cette correspondance est très poignante, émouvante, pleine de piété, de foi et surtout de l’affection que Max Jacob éprouve pour ce jeune homme. C’est un excellent témoignage sur ce que fut cet artiste, sur l’esthétique telle qu’il la prônait, sur l’inspiration telle qu’il la concevait, sur sa conversion et sa vision de l’autre vie, celle d’après, et hélas aussi sur son déclin et sa fin tragique. Sa dernière lettre est datée du 20 janvier (1944), il serait décédé le 5 mars dans les prisons nazies alors que ses amis avaient obtenu sa libération pour le 7 mars et certains crurent pendant un moment que cette libération était effective.