Quelque chose à te dire
de Hanif Kureishi

critiqué par Septularisen, le 4 novembre 2019
( - - ans)


La note:  étoiles
UNE VÉRITABLE COMÉDIE HUMAINE!
Au début de l’histoire nous sommes à Londres aux environs de l’année 2003. Nous faisons la connaissance de Jamal, la cinquantaine, brillant psychanalyste de renom, d’origine anglo-pakistanaise, séparé de son épouse. Il vit une vie «immobile», rythmée par ses « petites habitudes », comme les visites de ses patients et les frasques excentriques de Miriam, sa sœur qui élève seule ses cinq enfants et à qui il rend visite de temps en temps.

Tout se complique le jour où son meilleur ami Henry, metteur en scène de théâtre un peu excentrique et sa sœur tombent fou amoureux. L’ex-femme d’Henry, Valérie, voit cela d’un très mauvais œil, sans parler de Sam son fils et de Lisa sa fille! Des problèmes en plus pour Jamal qui en plus de ses patients, doit déjà gérer Miriam, une de ses ex-conquêtes, Bushy son chauffeur et homme à tout faire, Rafi son fils préadolescent, et Josephine, son ex-femme après leur séparation chaotique…

Comme si cela ne suffisait pas, il y a aussi la réapparition de Mustaq, (devenu une grande star de la musique et qui se fait maintenant appeler George Cage), le frère d'Ajita, qu'il n'avait pas revu depuis des années et qui lui propose de revoir sa sœur. En effet, jeune étudiant, il était tombé amoureux fou d'Ajita, son premier grand amour, belle étudiante hindoue, qui l’avait quitté sans aucune explication du jour au lendemain…

Cette période de doute et de retour sur soi, ramène à la surface des souvenirs d’une époque révolue, des souvenirs de sa propre jeunesse, qui s’est achevée du jour au lendemain par le crime et la honte. Jamal va devoir révéler et accepter les parts d’ombre, les mensonges, les cauchemars, les troubles profonds qui le hantent, le vrai et le faux de sa vie… Car, pire que tout, un ancien compagnon de route de Jamal fait brusquement sa réapparition…

Ce roman se distingue tout d’abord par une kyrielle de personnages tous plus déjantés les uns que les autres. Henry et Miriam sont des modèles de genre, mais franchement tous sont très bien réussis, et très fouillés psychologiquement. C’est simple on a l’impression de les avoirs toujours connus et a la fin du roman on regrette d’avoir à les quitter!

C’est aussi une radioscopie, une radiographie, une sorte de «voyage», dans la société anglaise qui va des années «Thatcher» (1979-1990) [époque où Margaret THATCHER (1925 – 2013) était premier ministre Britannique] aux années «Blair» (1997-2007), [époque où Tony BLAIR (*1953) était premier ministre]. C’est comme toujours chez cet auteur c’est une critique acerbe et désenchantée, notamment en ce qui concerne les politiques!
Mais attention, ce n’est pas que négatif, au contraire c’est souvent drôle, il s’en dégage beaucoup d’humour (on rit souvent et beaucoup, même si c’est « jaune » des fois !), et d’autodérision. Et surtout c’est rempli d’optimisme, surtout pour ce qui concerne le futur du monde d’ailleurs!
On y retrouve, bien sûr, tous les thèmes chers à l’auteur : la mémoire, la jeunesse, les souvenirs d’une époque révolue, l’immigration, la ville de Londres, le mélange des cultures, la langue et le langage, les fantasmes, le désir, la sexualité, l’homosexualité et l'homophobie, le racisme…

Pour KUREISHI c’est sans doute le roman de la mémoire, et n’ayons pas de honte à le dire de la «vieillesse » (on se demande d’ailleurs quelle est la part de l’autobiographie dans l’histoire qui nous est racontée ici), c’est en quelque sorte le bilan d’une vie, avec les confessions qui vont avec…

Mais ce qui m’a le plus conquis est l'écriture de l’auteur. Elle est ciselée, sculptée, précise, précieuse, subtile, vraie, directe, sincère... C’est simple, malgré les nombreux retours en arrière pour nous raconter la jeunesse de Jamal, tout s’enchaîne, se complète, et «s’emboîte» avec une perfection d’horloger! L’histoire s’agence et se suffit à elle-même. La construction narrative est très intelligente, un véritable modèle du genre! Elle est menée avec une maîtrise qui frise la perfection. Pas une histoire qui ne soit commencée sans que l’on en connaisse la fin, pas une question que l’on se pose, dont on ne connaîtra pas la réponse, pas un détail qui est évoqué (voir l’histoire de «la main») et qui ne sera pas expliqué de façon exhaustive par l’auteur…

Je finis complètement ébloui par la maîtrise de l’auteur. Hanif KUREISHI (*1954), atteint ici sans aucun doute la pleine maturité de son œuvre. J’ai lu 6 autres livres de cet auteur, et je peux vous garantir que celui-ci est sans l'ombre d'un doute (et de loin…) le meilleur! C’est simple le livre fait quasiment 600 pages, mais je me suis surpris à regretter qu’il n’en fasse pas 200 de plus! Je conseillerais d’ailleurs à tous ceux qui n’ont jamais lu de livre d’Hanif KUREISHI et qui veulent partir à la découverte de son œuvre, de commencer par celui-ci…