Pour un oui ou pour un non
de Nathalie Sarraute

critiqué par Eniotna, le 5 juillet 2004
(Savenay - 36 ans)


La note:  étoiles
Quand on se penche un peu sur les mots qui font notre conversation quotidienne...
Nathalie Sarraute possède un rapport avec la langue française essentiellement basé sur une exigence et une précision de l’utilisation du vocabulaire tout à fait remarquables.
Nombreux sont ceux qui connaissent ce célèbre passage d’Enfance où elle parvient à exprimer l’indicible en soupesant, comparant, examinant minutieusement chaque terme pouvant se rattacher à son émotion : « […]j’éprouve… mais quoi ? quel mot peut s’en saisir ? pas le mot à tout dire : « bonheur », qui se présente le premier, non, pas lui… « félicité », « exaltation », sont trop laids, qu’ils n’y touchent pas… et « extase »… comme devant ce mot ce qui est là se rétracte… « Joie », oui, peut-être… ce petit mot modeste, tout simple, peut effleurer sans grand danger… mais il n’est pas capable de recueillir ce qui m’emplit, me déborde, s’épand, va se perdre, se fondre dans les briques roses[…] ».
C’est sur un ton plus humoristique que l’auteur va reprendre ce jeu très subtil dans « Pour un Oui ou Pour un Non ». Le principal but de la pièce : analyser les expressions, les mots que nous prononçons tous les jours et nous mettre ainsi mal à l’aise en nous montrant jusqu’à quel degré de violence morale ils peuvent nous mener. L’action est concentrée en quelques 25 pages, les personnages sont réduits à leur plus simple fonction : H1 et H2 sont leurs noms et, mise à part la petite intervention de leurs voisins (H3 et F bien sûr !), l’on assiste à un dialogue très énergique « où tout ce qui compte est ce qui n’est pas dit » (4ème de c.).
Le premier sujet de brouille entre les deux amis a pour origine une malheureuse expression de H1 qui avait dit à H2 : « C’est bien… ça » après que celui-ci s’était vanté de quelque exploit. Le deuxième sujet portera sur un vers incomplet de Verlaine : « la vie est là… » dont la suite implicite (« … simple et tranquille ») suscitera une explication mouvementée entre les deux hommes quant l’état à leurs relations d’amis, et ainsi de suite…

Derrière ce qui pourrait paraître un ergotage stérile, il faut voir cette volonté qu’a eu Nathalie Sarraute de redonner une vigueur et un sens à des propos affadis par leur usage fréquent, et ce grâce à un travail d’une minutie remarquable.
Jubilatoire 10 étoiles

Rien à ajouter aux critiques déjà émises, j'ai adoré, et j'espère avoir un jour l'occasion de voir la pièce jouée sur scène, par de bons comédiens, avec toutes les intonations de voix que l'on s'imagine en lisant le texte, excellent !!!

Agnes - Marbaix-la-Tour - 59 ans - 3 mai 2008


Un texte à lire, une pièce à voir 8 étoiles

La langue poussée à son paroxysme ou l'usage que l'on fait des mots selon l'intention et le sens qu'on leur prête. Travail subtil et efficace de Nathalie Sarraute qui met en scène deux hommes, citoyens lambda comme vous et moi, dont la longue amitié en apparence si solide se fissure et se brise à cause d'une expression mal formulée ou mal comprise. Une banalité de langage décortiquée et l'évidence d'un processus qui deviendrait presque logique et cohérent alors qu'il est basé sur une erreur monumentale de perception.
C'est cela qui fait toute la force du langage et aussi toute sa dangerosité. La relation qui unit H1 et H2 est remplie de silences, de non-dits qui se révèlent rapidement être des incompréhensions. A force, ce décalage crée une rupture cruelle et ironique qui fait sourire le spectateur tout en le prenant à la gorge, car la simplicité de la situation laisse à penser que n'importe qui peut être la victime d'un tel processus.
Un beau procès du langage et de l'utilisation que l'homme en fait. Un texte à découvrir mais aussi à voir mis en scène, tant il se prête à la répartie.

Sahkti - Genève - 50 ans - 7 mars 2006


Détails de la vie au scalpel 10 étoiles

Je suis parfaitement d'accord avec la critique précédente. Ce genre de conversations est une merveille. Cette pièce est révélatrice des tracas que se créent les gens parfois pour des détails, comme l'emploi d'un ton de voix, ou d'une expression, indésiré(e) : qui n'a pas connu cela ?

Veneziano - Paris - 46 ans - 4 mai 2005