Fêtes himalayennes - Les Derniers Kalash
de Vincent Henry (Scénario), Jean-Yves Loude (Scénario), Hubert Maury (Dessin)

critiqué par Blue Boy, le 22 septembre 2019
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Une histoire de résistance
Au nord du Pakistan, dans l’Himalaya, une petite communauté méconnue tente de perpétuer ses coutumes millénaires. Les Kalash parlent leur propre langue, sont polythéistes, boivent du vin et célèbrent les changements de saison selon des rites chamaniques. Deux ethnologues et un photographe français sont partis vivre en immersion pendant plusieurs mois pour mieux les connaître, tandis que la pression à la conversion des Talibans se fait de plus en plus menaçante.

« Allez parler de nous, chez vous, au-delà des montagnes. Dites au monde que nous existons ». Avec cet ouvrage documentaire, les auteurs ont tenu promesse au villageois qui leur avait tenu ces propos en guise d'adieu. Au printemps 1978, Hervé Nègre, Viviane Lièvre et Jean-Yves Loudes ont ainsi quitté leurs emplois respectifs et leurs vies confortable en France, sans prévoir que l’aventure allait durer quinze ans !, Car ce témoignage est bien plus qu’une simple « visite au zoo » puisque ces derniers ont partagé le quotidien de cette peuplade, réduite aujourd’hui à quelque 3.000 âmes, adoptant leurs coutumes, apprenant leur langue, participant à leurs fêtes et abandonnant leurs vêtements occidentaux pour revêtir les tenues locales. En évitant bien évidemment tout jugement, se fondant dans la communauté dans un processus de mimétisme assez incroyable.

Ce documentaire suit au plus près les pratiques festives de ces hommes et ces femmes, retranscrit grâce au dessin simple mais descriptif de Hubert Maury. Chaque événement, calqué sur les saisons, semble réglé comme une horloge suisse, avec son lot de rituels millénaires destinés à s’attirer les faveurs des dieux par rapport aux récoltes. C’est parfois drôle et inattendu (la séance d’insultes entre les femmes et les hommes lors de la fête Sarasari), parfois moins car lesté d’un paternalisme un peu poussiéreux faisant que les femmes sont considérées comme impures et n’ont pas accès à certains lieux. Mais cela sera peut-être le seul point commun avec l’Islam, et pour un peu, ce pays pourrait presque s’appeler « Bisounours Land » si ce n’était pour le voisinage agressif des Talibans mettant en péril leurs pratiques les moins conformes au Coran.

Même si aucune image forte ne ressort véritablement de cet album, ce dernier se laisse lire sans déplaisir. Certes, on n’a pas non plus vraiment affaire à une tribu aborigène oubliée dans la course au progrès, mais il est intéressant de voir qu’une société si différente ait pu survivre si longtemps face à un monothéisme aussi prédominant qu’est l’Islam, moins tolérant que jamais vis-à-vis des autres cultures. Sans doute, leur isolement géographique y est pour quelque chose. Les photos d’Hervé Nègre s’intègrent parfaitement parmi les dessins, qui ont repris la même gamme de couleurs. Bien sûr, la technique n’a rien de nouveau, un certain Emmanuel Guibert l’ayant déjà exploitée dans « Le Photographe », et d’autres après lui. Au final, « Fêtes himalayennes » s’avère être un témoignage sympathique par des personnalités curieuses et généreuses à travers leur soutien à une cause, la défense des derniers Kalash, dont on ne peut prévoir si elle n’est pas déjà perdue d’avance.
Plus près des dieux 10 étoiles

Fin des années soixante-dix, deux ethnologues, Jean-Yves Loude et Viviane Lièvre, et un photographe, Hervé Nègre, partent vivre chez les Kalashs, un peuple vivant dans trois vallées reculées au nord-ouest du Pakistan. Les Kalashs sont uniques car, entourés par des peuples qui ont adopté depuis plusieurs centaines d'années l'islam, y compris leurs proches voisins les Nouristani qui y furent contraints par la force à la fin du XIXème siècle, ils sont parvenus à maintenir leur langue et leur religiosité polythéiste. Ils offrent ainsi une occasion incomparable de mieux comprendre le rapport au monde et aux dieux propre aux peuples indo-européens avant que ceux-ci ne se convertissent ou ne soient convertis aux divers monothéismes.

Parvenant à nous rapprocher de ce monde "enchanté", au sens premier du terme, dans lequel vivent les Kalashs, monde où dieux et fées ne se trouvent jamais loin, les auteurs de ce roman graphique ont choisi de nous présenter à la fois les aventures de nos trois Français et les fêtes qui ponctuent l'année de ces peuplades. Passionnés par leur culture, ils décidèrent d’apprendre leur langue et leurs coutumes, participant à leurs fêtes et revêtant même leurs vêtements afin de mieux s'intégrer. Qui pourrait en effet douter que les vêtements ne soient l'un des premiers marqueurs de la volonté de s'intégrer ou de se distancier dans une société ?

Album à vocation documentaire, Fêtes Himalayennes réussit le pari d'être tout à la fois amusant et pédagogique. Sa conception atypique où viennent s'ajouter au dessin vif et humoristique de Hubert Maury, photographies et clichés permet de donner une présentation très complète de ces peuples et de leurs vallées.

Cette bande dessinée, comme les ouvrages précédents de Jean-Yves Loude et Viviane Lièvre, se veut un témoignage rendant hommage à ces quelques 3 000 hommes et femmes vivant encore au rythme des saisons et dont nul ne sait combien de temps ils auront la possibilité de préserver leur identité face à un monothéisme aussi dominateur qu’est l’Islam, moins tolérant que jamais vis-à-vis des autres cultures, l'isolement géographique des Kalashs les protégeant de moins en moins des agressions et des intrusions extérieures.

Les amoureux de l'Asie centrale et de l'histoire dans sa plus longue durée apprécieront cet album qui offre un miroir bienvenu et éclairant à nos fêtes européennes, en particulier aux fêtes proches du solstice d'hiver et aux carnavals, dont le sens profond n'a jamais été totalement obéré par la réinterprétation mise en oeuvre par les églises chrétiennes.

Kostog - - 52 ans - 3 janvier 2020