Les années avec Laura Díaz
de Carlos Fuentes

critiqué par Jeparo, le 27 juin 2004
(Bruxelles - 60 ans)


La note:  étoiles
une femme libre dans un siècle de feu
Impressionnant balayage d'un XXème siècle riche en horreurs, ce roman-pavé raconte en alternance (quoiqu'emmêlées) les étapes historiques marquantes du siècle passé et le destin de Laura Diaz, femme mexicaine que l'on suit de la naissance à la mort.
Tout commence par une fresque picturale à Detroit due en 1932 à Diego Rivera, le narrateur entame en 2000 une série de documentaires sur les muralistes mexicains aux USA; il y reconnaît Laura Diaz, une agression le plonge dans l'inconscience et dans sa chute il se demande "si l'on peut revivre la vie d'une femme morte comme elle l'a vécue, si l'on peut découvrir le secret de sa mémoire"...
La réponse est oui. La page suivante, nous sommes en 1905, Laura est née, elle vit à Catemaco avec sa mère, ses tantes, ses grands-parents et nous sommes partis pour la suivre d'années en années. Fuentes brosse alors déjà quelques portraits de personnages bien typés, attachants et que l'on retrouvera ça et là au cours de ces 700 pages, dans des épisodes parfois inoubliables de romanesque (ah, le décès des tantes!) et tisse, au travers de quelques anecdotes villageoises, les bases d'histoires qui trouveront leurs conclusions bien plus tard dans le roman.
Nous retrouvons Laura d'abord à Veracruz où elle fera la rencontre de son demi-frère Santiago qui illuminera toute son existence par la très forte complicité qui caractérisera leur relation et par l'intérêt qu'il porte à la chose révolutionnaire qu'il lui transmettra bien que son activisme lui vaille d'écourter très tôt son propre destin.
Laura épousera ensuite Juan Francisco, un syndicaliste dont elle s'apercevra après qu'ils aient eu deux enfants, Santiago et Danton, qu'il n'est que ce qu'il montre, sans le moindre mystère. Laura s'ennuie, elle ne se trouve pas, elle se demande ce qu'elle fait de sa vie. Le terrain est propice au bouleversement qui ne se fait pas attendre : la passion amoureuse arrive en la personne d'Orlando (qui avait en son temps connu Santiago, le frère) et je m'arrête là pour la tentative de résumé foisonnant, on l'aura compris quand on saura que ce qui précède ne recouvre que moins du tiers du livre.
Elle rencontrera encore des personnages clés qui l'éclaireront sur l'Espagne franquiste, l'Allemagne nazie, la chasses aux communistes américains... Tout cela va l'aider à se construire, car s'il y a une force dans le roman de Carlos Fuentes, c'est qu'il n'a pas choisi de portraiturer une figure d'emblée héroïque mais plutôt une femme peut-être pas vraiment banale mais quelqu'un que la lucidité va peu à peu transformer en femme libre, responsable de son destin.
Quant au style, si Carlos Fuentes parsème son texte d'envolées d'un lyrisme envoûtant, il m'a semblé à d'autres moments manquer de souffle et donc moins convaincant. Un autre (mini-)défaut réside dans le fait qu'il déconstruit quelquefois ses dialogues emmêlant deux dialogues d'époques différentes, ce qui n'aide pas à la clarté.
On sourira encore aux quelques clins d'oeil qu'il lance à Proust (le Temps retrouvé), à Simone Weill (la pesanteur et la grâce), à d'autres encore.
Bref un roman fort prenant, ambitieux, "inlâchable" une fois entamé, qui laisse des traces d'autant plus fortes quand on lit sa page de remerciements à la fin du livre (je vous laisse la surprise). A conseiller donc, quand on a du temps devant soi : ne sommes-nous pas, de ce côté-ci de l'hémisphère, en été...?
Portrait de femme 8 étoiles

J'aimais beaucoup la photo de couverture de l'édition Gallimard.

Sur 700 pages, Carlos Fuentes retrace la vie de Laura Diaz, entre 1898 et 1972. Il a pris comme modèle sa grand mère paternelle , dont la famille venait d'Allemagne. L'arrivée de cette famille est d'ailleurs pour moi un des meilleurs moments de cette grande fresque qui retrace donc l'histoire du Mexique pendant ces années, mais aussi, et ce à travers soit des amours de Laura, soit de la vie de ses frères, enfants, petits enfants, l'histoire des pays qui ont eu une histoire commune avec le Mexique, l'Allemagne, donc, mais aussi bien sûr l'Espagne ( il y a de très belles pages sur la guerre civile ) et les Etats-Unis.

Dans ce portrait de femme ( très libre), on croise une multitude de personnages célèbres, on participe à toutes les guerres et révolutions.
C'est un livre très dense, dans lequel on apprend beaucoup de choses, mais qui, pour moi, a les défauts de ses qualités, si je puis dire.. On a souvent envie de dire stop, arrêtons nous un peu sur une époque précise!
Même si, comme moi, on aime les livres qui nous emmènent ailleurs dans l'histoire d'un pays, l'histoire de cette famille est un peu trop... trop!
Or, à lire la postface , notamment en ce qui concerne la mort des Santiago qui peuplent cette histoire ( demi-frère, fils et petit fils), il y a peu de fiction, et la vie de la famille Fuentes est un vrai roman.
Bien écrit, intéressant, mais peut-être un peu pesant ?

Paofaia - Moorea - - ans - 29 octobre 2013


" Ne laisse rien passer mon enfant ! " 8 étoiles

Né en 1928 -et mort récemment en mai 2012- Carlos Fuentes était un écrivain mexicain majeur, très engagé dans le combat politique.

" Les années avec Laura Diaz " balaient l'Histoire mexicaine du XX ième siècle. Laura Diaz en est le fil conducteur. Avec cette femme libre, instruite et intelligente, l'auteur dresse une gigantesque fresque du Mexique moderne.
Un pays de colons (L'Espagne, la France, l'Allemagne) et de réfugiés (espagnols sous Franco, Juifs pendant la guerre en Europe, victimes du Maccarthysme aux états-unis)
Un pays où les gouvernements révolutionnaires se succèdent dans la sang.
Un pays malmené par le crime, la violence, la corruption et la pauvreté.
Un pays dont le coeur est Mexico; ville aztèque, ville coloniale et ville moderne. Mais également, une cité perdue de la grande misère humaine.
Mexico qui s'accroît en écrasant son passé sur son passage.

Un ouvrage hautement politique. Une analyse froide et sans concession des régimes fascistes (Allemagne hitlérienne, Espagne franquiste, Russie stalinienne )
Un vibrant hommage aux artistes hispanisants majeurs (Neruda, Lorca, Quevedo , ... )
Un ouvrage qui transpire l'Amour pour son pays (Gastronomie, Faune et Flore, Architecture ,... )

La saga familiale semble "anecdotique" tant l'enchaînement des faits historiques est important .
Mais le personnage de Laura Diaz reste néanmoins attachant. Une femme libre et indépendante qui fera sienne la maxime de sa grand-mère Cosima Kelsen : " Ne laisse rien passer mon enfant ! ".

Un ouvrage volumineux (620 pages) et dense.
Le Mexique qui continue de construire les bases d'une démocratie apaisée... dans le sang.
Une oeuvre majeure.

Frunny - PARIS - 59 ans - 27 juillet 2012


Souvenir d'insatisfaction... 6 étoiles

Il y a plusieurs années, j'ai complété la lecture de ce livre qu'on m'avait prêté et en ai malheureusement conservé un vif souvenir d'insatisfaction, que j'avais noté...
Je dois faire le partage d'émotions contradictoires après avoir terminé la lecture de cette narration volumineuse..., (plus de sept cents pages)!
Le moins que l'on puisse dire est que la lecture demeure fascinante du début à la fin, intéressante...?
Inégale dans son intérêt car l'auteur ne se lasse de recourir à un style métaphorique, une allégorie narrative trop souvent répétitive.
Sept cents pages sont très peu pour couvrir un siècle d'histoire, si le personnage principal, Laura Diaz, est une femme peu banale, de plus, l'auteur laisse très peu de loisir au lecteur de s'y attacher vraiment. En ratissant aussi large, le lecteur ne fait qu'entrevoir brièvement plusieurs personnages secondaires passionnants, mais aussitôt disparus.
Le lyrisme dithyrambique de l'auteur noie le sujet; le Mexique que j'aurais aimé mieux connaître au moyen d'un style plus sobre et plus objectif; et le personnage principal, Laura Diaz, réduit finalement à un banal rôle de faire valoir du style de l'auteur.

FranBlan - Montréal, Québec - 82 ans - 17 février 2012