Le soleil sait Une anthologie vagabonde
de Odysséas Elýtīs

critiqué par Septularisen, le 26 juillet 2019
( - - ans)


La note:  étoiles
«Et tu te trouves funambulant d’une Galaxie à l’autre Alors que sous tes pieds grondent les précipices».
Dans le voisinage des ancres
-Lorsque passent les impétueuses carènes déchirant
Un nouvel obstacle et l’emportant victorieuses
Et que l’espoir brille de tous ses dauphins
Privilège du soleil dans le cœur de l’homme-
Les filets du doute ramènent
Une effigie de sel
Ciselée avec peine
Blanche et indifférente
Qui tourne vers la haute mer ses yeux vides
Portant l’infini.

Extrait «d’Orientations» (1940)

Angélique IONATOS, après avoir chanté ses poésies pendant de nombreuses années, nous propose à présent, dans cette anthologie, sa traduction personnelle de ses propres poèmes préférés d’Odysséas ELYTIS.

Ce recueil couvrant toute l’œuvre du poète grec, on retrouvera donc toute la «palette» de ses thèmes. Dont bien sûr le dépassement, la géométrie, la foi, la justice, la liberté, la conception amoureuse du monde… Un constante aussi, comme toujours ELYTIS se révèle un observateur hors pair de la nature à la fois lucide, souple e efficace. La mer, les arbres, les fleurs, sont comme toujours au centre de sa poésie.

Le plus grand intérêt de ce recueil étant de nous donner accès à une partie encore non traduite de son œuvre du grand poète grec. On retrouvera p. ex. ici et non sans émotion d’ailleurs, des extraits de ses tous derniers recueils de poésie.

«J’ai habité un pays surgissant de l’autre, le vrai, comme le rêve surgit des événements de notre vie. Je l’ai aussi appelé Grèce et j’en ai tracé la forme sur le papier pour le regarder. Il semblait si petit, si insaisissable.
Le temps passant, je le mettais sans cesse à l’épreuve : tantôt avec de brusques tremblements de terre, tantôt avec de vieilles tempêtes de bonne race. Je changeais les choses de place pour les débarrasser de toute valeur. J’étudiais la Vigilance et l’Érémitique pour pouvoir façonner de brunes collines, de petits monastères, des fontaines. J’ai même réussi à faire naître un verger rempli d’agrumes qui sentait Héraclite et Archiloque. Mais il embaumait tant que j’ai pris peur. Alors je me suis mis petit à petit à enchâsser des mots comme pierre précieuses pour couvrir le pays que j’aimais.
De peur que quelqu’un ne voie sa beauté ou qu’il ne soupçonne que, peut-être, il n’existe pas.»

Extrait du «Le Petit Navigateur» (1985)

Le seul reproche que je pourrais faire à ce livre, se situe dans la… Traduction!
En effet, Mme. IONATOS n’étant pas une traductrice professionnelle, elle nous propose donc une traduction très « linéaire », très littérale, quasiment du mot à mot par rapport au texte original.
On perd donc, en partie du moins, ce qui fait la beauté des textes d’ELYTIS, à savoir ces formes d’expression modernes et ses magnifiques néologismes, qu’il invente, parfois en réactualisant des mots anciens ou moyenâgeux, au fur et à mesure de ses besoins poétiques, et qu’il faut réinventer en langue française (c’est ce que justement réussissent à très bien faire Messieurs Xavier BORDES et Robert LONGUEVILLE dans la traduction d’un des chefs-d’ œuvres du poète grec Marie des brumes, ici sur CL : https://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/42493).

Que dire de plus sur ce magnifique livre? Que comme toujours avec ELYTIS, et malgré les quelques lacunes évoquées plus haut, je finis subjugué, littéralement sous le charme de sa magnifique écriture… Comment dire? Il y a comme un enchantement à lire de « l’ELYTIS», comme une libération des sens, une grande bouffée d’air frais!

Encore une fois, je ne peux que recommander au plus grand nombre d'entre vous, de partir au plus vite à la découverte de ce grandissime poète.

HYMNE À MARIA NÈFÈLI

À présent j’ouvrirai grand mes bras
et dans les courants que je formerai
sans t’approcher tu apparaîtras
Iris Maria Néféli
verte dans les grands magasins
mauve dans les cafés en sous-sol
rouge aux enterrements des pauvres
et bleu lavande dans le sommeil des petits ;

Iris Maria Néféli
chemise de nuit au vent
flottante et endormie
comme sortie d’un tableau de Leonor Fini
chrysalide de mon sommeil.

Tra un fiore colto et l’altro donato
l’inesprimibile nulla. (*)

Tu est belle comme un phénomène naturel
dans tout ce qui en toi conduit à l’aguille et au lynx
tu est l’averse dans les H.L.M.
l’inespérée coupure de courant ;
l’astrologie se penchera sur ton lit
et appuiera ses pronostics sur ton désespoir ;
tu est belle comme le désespoir
comme cette peinture qu’exècrent les bourgeois
mais qu’ils achèteront après-demain avec leurs milliards
Iris Maria Néféli
Avec le charme de ton derrière lorsqu’il s’assied
Soudain sans le moindre soupçon sur une lame de rasoir.

(*) : Giuseppe UNGARETTI (1888 - 1970) «D’une fleur cueillie à l’autre offerte / l’inexprimable rien.»

Ecoutez Angélique IONATOS elle-même chanter ce poème dans sa langue originale ici :
https://www.youtube.com/watch?v=DtlTIbibFBE

Faut-il rappeler qu’Odysséas ELYTIS a été lauréat du Prix Nobel de Littérature en 1979.