Ezéchiel
de Albert Cohen

critiqué par Fee carabine, le 25 juin 2004
( - 50 ans)


La note:  étoiles
La peste soit des interprétations politiques...
L’intrigue de l’unique pièce de théâtre d’Albert Cohen est on ne peut plus simple, et tout est dit dès le début : le fils unique du vieil Ezéchiel Solal est mort sur le bateau qui le ramenait auprès de son père, et le pauvre Jérémie a été engagé, moyennant salaire, pour annoncer la tragique nouvelle au malheureux père.

Jérémie est un minable petit magouilleur et un tendre rêveur, nouvelle incarnation de Menahem Mendl, qui a accepté, poussé par le besoin d’argent, la mission d’annoncer à Ezéchiel la mort de son fils mais qui ne sait pas comment s’y prendre. Ezéchiel est lui un riche banquier, un des chefs de la communauté juive de Céphalonie : l’archétype de l’usurier juif dans toute son avarice, Albert Cohen nous le présente d’entrée de jeu plongé dans des calculs d’économie de bouts de chandelle (le chandelier à 7 branches est la ruine du Peuple Elu, un chandelier à 3 branches aurait tout aussi bien fait l’affaire !).

Albert Cohen oppose donc 2 figures juives stéréotypées au fil d’un dialogue qui sombre plus d’une fois dans le grotesque. Lorsque la pièce fût montée pour la 1ère fois par la Comédie Française (en 1933 !), elle s’attira à la fois les foudres d’associations antisémites (qui y voyaient l’apologie de la « culture juive »), et d’une bonne partie de la communauté juive (qui trouvait que la pièce tournait en dérision cette même « culture juive »). Et lorque la pièce fût à nouveau montée au milieu des annés 80, elle suscita les mêmes réactions outrées, la plupart des critiques se focalisant sur une vague « question juive » (l’édition de la pièce dans la Pléiade propose d’ailleurs un revue de presse détaillée et très révélatrice).

Cela témoigne à mon avis d’un aveuglement complet envers la plus grande qualité de la pièce, ce qui fait qu’elle nous touche malgré les maladresses et le manque de tension dramatique. Dans un éclair de génie, Albert Cohen nous fait soudain percevoir la profonde humanité de ses 2 personnages. Au-delà des stéréotypes, il nous montre 2 hommes qui font tout simplement face à l’adversité du mieux qu’ils peuvent. Il nous rappelle de chercher nos « frères humains » au-delà des classifications faciles. Pour cette raison, « Ezéchiel » mérite d’être lu et joué... et au diable les critiques de théâtre qui s’occupent plus de politique que de la nature humaine !