Les Amnésiques
de Géraldine Schwarz

critiqué par Lisab, le 27 juin 2019
(Bruxelles - 79 ans)


La note:  étoiles
L'Europe face à son passé
Géraldine Schwarz, journaliste franco-allemande, curieuse de la façon dont ses grands-parents allemands (mitläufer) et français MOYENS avaient vécu le nazisme et l'occupation, tire le fil de leurs histoires particulières de citoyens lambdas broyés par l'horreur de la guerre et sur leur attitude face à l'indicible.
La pelote déroulée, elle nous montre non seulement l'Allemagne et la France mais l'Europe et le monde entier qui n'ont pas su réagir pendant la guerre mais aussi malheureusement pendant les décennies qui ont suivi ce passé douloureux.
Cette part d'ombre trop difficile à affronter a été à l'origine d'un véritable blocage devant le travail de mémoire de responsabilisation collective de la société comme des politiques afin de permettre une transmission objective, un renforcement de la démocratie et une consolidation de l'Europe pour lutter contre les montées populistes. Un livre passionnant et interpellant s'il en est.
Histoire du XXème et plaidoyer contre l’oubli. 10 étoiles

Ce livre m’a littéralement passionné. Cette jeune journaliste Franco-Allemande a voulu savoir ce que ses grands-parents avaient fait, avant, pendant et après la guerre, et son jugement est implacable. Pourtant elle nous remet dans l’ambiance de l’époque : pour les Allemands, au moment même, c’était tellement facile de suivre le mouvement et de se donner bonne conscience ! Mais l’auteur(e) a aussi enquêté du côté de sa famille française et hélas ! du côté français, le résultat n’est pas plus brillant.

De fil en aiguille, ses recherches l’ont menée à refaire tout l’historique du XXème, notre siècle, le siècle où nous avons vécu. Et ce côté du livre est encore plus passionnant. Elle nous remémore les grands événements de la guerre ; puis elle examine comment, après coup, on a raconté ces événements : objectivement dans certains pays, et en les déformant dans d’autres. Dans certains cas la manipulation a été telle que les bourreaux sont devenus les victimes.

Ce qui est impressionnant, c’est qu’elle nous raconte l’histoire vécue au niveau des populations ; on a l’impression qu’elle nous raconte notre histoire.
Elle nous parle de livres tellement révélateurs qu’ils ont été interdits dans certains pays ; et elle énumère les films et les séries télévisées qui ont raconté la guerre telle qu’elle était. Et on se souvient de l’effet incroyable que ces reportages faisaient dans le public. Notamment cette série « Holocauste » dont tout le monde parlait avec des larmes dans les yeux. Ces documents nous ont révélé, avec un réalisme inouï, ce qui avait été trop longtemps passé sous silence. Et beaucoup parmi nous avaient honte parce que, si on savait, on se taisait, on voulait oublier.

Alors l’auteur(e) défend une cause et elle le fait avec un brio exceptionnel, et preuves à l’appui : là où le devoir de mémoire s’est accompli, dit-elle, là où les populations ont vu leur passé sans concession, là où les populations ont pu demander pardon pour les crimes commis, les horreurs du populisme, du fascisme et du racisme ne renaissent pas. Ailleurs, il faut s’attendre au pire !

Elle passe en revue tous les pays d’Europe en examinant comment on y a raconté la guerre, et comment, bien souvent on a faussé l’histoire. Ça a été le cas sous les régimes communistes, notamment en ex-RDA mais pas seulement. Dans d’autres pays d’Europe, où le devoir de mémoire a été faussé, renaissent aujourd’hui le populisme, le fascisme et le racisme avec une virulence inquiétante.

Personnellement, j’ai été épaté par le contenu historique du livre et j’ai été convaincu par son plaidoyer. J’ai même été retourné par ce livre. J’avais toujours pensé qu’il était bon de s’imposer une longue période de silence, le temps que passe la génération de la guerre, pour arriver à une réconciliation. J’avais tout faux. La lecture de ce livre m’a convaincu qu’un devoir de mémoire objectif et sans concession était indispensable si l’on veut bannir à jamais les fautes du passé.

Saint Jean-Baptiste - Ottignies - 88 ans - 20 novembre 2020


Devoir de mémoire 9 étoiles

Géraldine Schwarz est une journaliste franco-allemande et elle a fait un gros travail de recherche pour comprendre le rôle de ses grand-parents pendant la guerre, ainsi que après la guerre. Elle a voulu comprendre comment sa famille a accepté de se confronter avec le passé (ou, au contraire, a choisi de fermer les yeux, comme ce fut le cas en France ou en RDA). C'est très intéressant car on comprend très bien l'importance pour un pays de regarder son passé en face, pas dans un esprit d'auto-flagellation mais pour éviter de reproduire les mêmes erreurs. Elle retrace toute la période qui va de la guerre, puis de l'après-guerre immédiat jusque maintenant. C'est surtout centré sur l'Allemagne et la France, pays dans lesquels sont ses racines familiales, mais à la fin elle étend l'analyse aux autres pays d'Europe.

J'ai trouvé très intéressante son analyse du cas français : à la sortie de la guerre le général de Gaulle a favorisé la naissance du mythe de la France résistante et il a fallu très longtemps pour que les français se confrontent avec une réalité beaucoup moins reluisante, par exemple en ce qui concerne le rôle des administrations françaises dans la déportation des juifs. J'ai aussi trouvé son analyse des épisodes des attentats de l'extrême gauche passionnante : en Italie (brigade rouge), en Allemagne (la bande à Baader) et France (action directe), on voit qu'à l'époque même des intellectuels de renom s'étaient fourvoyés (Sartre avait été voir Baader en prison par exemple). Par rapport aux camps de concentration, il a fallu aussi attendre longtemps pour que l'Occident prenne la mesure de ce qui s'était passé et que commence le travail de mémoire nécessaire. Pour l'anecdote, elle mentionne la série Holocauste (en 1982) qui avait été un déclencheur de cette prise de conscience. Je me souviens très bien de cette série et du très gros impact qu'elle avait eu sur ma génération.

Vraiment un livre passionnant et important. Quand on voit la montée du populisme et même du fascisme (dans des pays comme l'Autriche par exemple, où la confrontation avec le passé n'a pas eu lieu) il y a de quoi avoir peur et on prend la mesure de l'importance d'ouvrages tels que celui-ci.

Saule - Bruxelles - 59 ans - 16 août 2019