Les tribulations de Tintin au Congo
de Philippe Goddin, Hergé

critiqué par Vince92, le 22 juillet 2019
(Zürich - 46 ans)


La note:  étoiles
La monographie d’un album contreversé
Philippe Godin est sans doute l’un des meilleurs spécialistes d’Hergé : auteur d’une biographie détaillée du père de la Ligne claire en plusieurs volumes (Hergé, chronologie d’une œuvre), il a également écrit plusieurs monographies d’albums, trois désormais. Les deux premières portaient sur le diptyque Les Sept Boules de cristal-Le Temple du soleil. La troisième a pour objectif d’éclairer la genèse et la postérité du deuxième album des Aventures de Tintin : Tintin au Congo.
Publié dès 1930 en feuilleton dans le Petit Vingtième, Tintin au Congo va se décliner en un album en 1931 avant d’être remanié (diminution du nombre de planches et cases redessinées). Le modèle étant la version néerlandaise donnée à Het Laatste Nieuws (c’est cette version en noir et blanc qui est reproduite dans la monographie). Le dessin évolue et devient beaucoup plus fin, le style d’Hergé est désormais abouti et s’il évoluera encore un peu, les traits principaux resteront ceux empruntés par les albums jusqu’à la mort d’Hergé et à la fin donc des Aventures de Tintin. Ainsi, ce livre fait la lumière sur les différentes éditions et les modifications techniques de construction de l’album mais surtout apporte un éclairage sur les deux polémiques qui l’atteignent et ce, dès le début des années 60. La plus importante est celle sur le prétendu racisme d’Hergé, la seconde, de moindre envergure, est le peu de cas que Tintin ferait de la faune africaine.
Dans son épilogue, Godin fait un sort à ces deux accusations de façon très simple: l’album a été écrit en 1930, et le moins que l’on puisse dire est que les adversaires de l’album ont oublié de le contextualiser : on n’écrivait pas en 1930 comme on le fait en 2019 et même en 1960. Cet argument devrait se suffire pour démontrer le ridicule de ces attaques. Mais, et pour aller plus loin dans la défense de l’album, tout au long de la monographie, Philippe Godin prouve de façon assez troublante que les différents détails de l’album, loin de simplement véhiculer les stéréotypes d’une nation coloniale sur sa colonie et ses habitants, s’appuient en réalité sur des documents bien réels.
Prenons l’exemple de l’habit que les indigènes congolais abordent dans l’album : mélange d’éléments européens (faux-cols, manchettes, canotiers, …) et d’éléments indigènes (pagnes, coiffes, armes archaïques comme les sagaies, etc…)… tout pour penser qu’Hergé exagère et verse dans le stéréotype de mauvais aloi… quel manque de respect ! Or des photos de sa documentation apposées en face des cases les plus emblématiques font apparaître des Africains dans des accoutrements très similaires. En fait, tous les traits les plus caricaturaux de cette bande dessinée sont étayés par de la documentation de ce genre. C’est donc faire un mauvais procès à Hergé que d’être raciste… il a simplement retranscrit dans un album sa vision du Congo belge des années 30 qui se fonde sur les images, les textes et les témoignages qui lui sont parvenus .
La meilleure preuve de l’innocence du geste et de la valeur de cette œuvre : le succès qu’a eu l’album en Afrique francophone… loin des polémiques qui fleurent la repentance, sport national des sociétés occidentales, les Africains se sont emparés de cette histoire comme d’une reconnaissance de leur spécificité.
Ainsi, pas de quoi fouetter un chat… l’album d’ailleurs pêche plus selon moi par sa relative médiocrité scénaristique qu’autre chose.
Encore un travail remarquable de Philippe Godin que tout tintinophile se doit de posséder.
réhabilitation d'un album 7 étoiles

"Tintin au Congo" ne fait certes pas partie de mes albums "Tintin" préférés, loin de là.
Mais j'ai beaucoup apprécié l'édition présentée par Philippe Goddin, auteur déjà de la remarquable édition "La malédiction de Rascar Capac", que je consulte très régulièrement.
L'originalité de cette édition réside dans la publication intermédiaire de l'album, sous le titre de "Tintin in Kongo", de septembre 1940 à octobre 1941, dans le journal belge "Het Laatste Nieuws".
Cette version est basée sur celle du "petit vingtième" de 1930 et va se rapprocher au fil des pages de celle publiée,cette fois-ci en couleur , en 1946.
Cet album, en format à l'italienne bénéficie, outre d'une iconographie très abondante, d'un dossier assez complet, et de commentaires de Philippe Goddin sur chaque page de l'album.
Certes, j'ai trouvé ces tribulations de Tintin au Congo un peu moins intéressantes que le formidable diptyque intitulé " la malédiction de Rascar Capac", mais les les amateurs (ou plutôt les collectionneurs) de Tintin doivent lire cette monographie, qui en fin de compte réhabilite un album que certains voulaient voir retirer du circuit il y a encore très peu de temps, en 2012 et que d'autres ont réussi à faire retirer de certaines bibliothèques.

Hervé28 - Chartres - 54 ans - 30 mars 2020