L'homme-fougère
de Jean Claude Bologne

critiqué par Lucien, le 23 juin 2004
( - 69 ans)


La note:  étoiles
Un Faust fractal qui tourne court
Intéressant, Bologne. Une valeur sûre de notre littérature francophone belge. Installé à Paris où il enseigne l’iconographie médiévale. Rossel 89 pour « La faute des femmes ». Essayiste alimentaire et romancier Nouvelle Vague.
Une enquête policière sur fond de pacte faustien et de physique fractale : le passé du narrateur, Louis Lefèbvre, le gêne aux entournures. Un inconnu lui propose de lui racheter ses souvenirs. A prix d’or. Mais est-il possible de détruire sa mémoire involontaire comme on formate un disque dur ?
Partagé entre Liège et Paris, entre Katy et Myriam, les deux femmes qui ont compté dans sa vie, Louis se voit mêlé à un vaste trafic international que sillonnent Aloïs, Loïc, Ludwig… ou autant de possibles de Louis lui-même.
Une idée très intéressante. Dommage que l’on reste un peu sur sa faim et que le dédoublement (le détriplement ? le déquadruplement ?) de Louis soit finalement peu crédible, comme peu claire et, somme toute, convenue, cette fin à la Nothomb (on songe à la « Cosmétique de l’ennemi ») où la fougère, à force de se ramifier, s’effeuille.
Les anfractuosités de la mémoire 7 étoiles

L’homme-fougère est un roman entre le conte philosophique et le roman policier, écrit par un auteur qui aligne déjà une bibliographie fournie et variée.
Louis Lefèbvre, le narrateur, signe un contrat par lequel il sera payé pour se débarrasser de ses souvenirs personnels au profit d’un homme de média. Variation sur le thème de Faust, inversion de l’acte psychanalytique où c’est le patient qui serait payé... A cette occasion, les souvenirs refont violemment surface ; le narrateur revient à Liège où il est né. (Comme le souligne Sahkti, on devine que l’auteur fait endosser de nombreux éléments biographiques au narrateur.) Les événements se précipitent, les compagnons de ses ex-compagnes cherchent à le rencontrer, sont tués ou menacés de mort, son vieil ami ne serait pas une connaissance de si longue date.... Du roman psychologique qui interroge le souvenir et l’identité on glisse vers le roman fantastique où tous les repères vacillent pour finalement s’accorder à une conclusion qui donne au titre du roman resté longtemps énigmatique tout son sens.
Un roman maîtrisé qui mêle le suspense à l’investigation psychologique.
La fin m’a déçu car elle met naturellement (trop tôt peut-être) un point final à l’intrigue en nous frustrant d’un deuxième souffle, d’une relance de la machine narrative, au moment où les personnages secondaires nous devenaient familiers et où on aurait aimé en savoir plus sur eux et leurs rapports avec le narrateur...
Entièrement d’accord sur ce point avec Lucien.

Kinbote - Jumet - 65 ans - 19 juin 2005


Impression de douce folie 8 étoiles

L’écriture de Jean-Claude Bologne (parisien d’adoption mais belge de nationalité) a toujours eu pour ambition d’aller au plus profond de nos âmes, de décortiquer nos comportements pour comprendre nos mécanismes. L’homme se cherche lui-même, en permanence, à l’aide de nombreux signes intérieurs mais aussi en fonction du monde qui l’entoure. Les réflexions de l’auteur l’entraînent sur une pente non savonneuse qui nous laisse souvent sans voix, empreints de cette philosophie particulière qu’il dégage et qui font que ces récits sont inclassables et indescriptibles.

La trame de ce roman elle-même est inextricable. Louis Lefebvre est scénariste, il vit à Paris tout en étant de Liège (exactement comme Bologne), on le considère comme rebelle, il refuse de se fondre dans le moule de la culture artificielle. Alors qu’il rejoint Liège par le Thalys, un meurtre est commis, le voilà suspect. L’histoire ne s’arrête pas là. Un homme propose à Lefebvre de lui racheter son passé ! Pour ce faire, il doit mener d’étranges interrogatoires impudiques, aucun détail ne peut être dissimulé. Naît alors un ballet enivrant de personnages, de situations, de souvenirs et d’impressions, un vent de folie qui s’empare de Louis Lefebvre mais aussi du lecteur. Pas simple, voire impossible de totalement changer de vie, on n’éradique pas le passé d’un revers de la main. La folie se mêle à la raison, le héros du roman, en quête de chaque parcelle de son identité finit par douter de celle-ci, par en faire jaillir les zones d’ombre, confondant fiction et réalité. C’est grandiose, Jean-Claude Bologne nous entraîne dans un périple subtilement dérangeant. La personne tuée dans le train est le concubin d’une ancienne amoureuse de Lefebvre, le scénariste qui veut lui acheter son passé est celui qui a pris la relève de Lefebvre après que celui-ci eût décliné l’offre alléchante d’un producteur de soaps à la noix, la vie de Lefebvre doit devenir celle de ce parvenu qui le remplace. Ou peut-être est-ce l’inverse… Lefebvre devient fou, nous aussi, Jean-Claude Bologne doit bien rigoler et savourer son génie, il aurait tort de s’en priver.

Sahkti - Genève - 50 ans - 23 juin 2004