Les sept fous
de Roberto Arlt

critiqué par Agnesfl, le 9 juin 2019
(Paris - 59 ans)


La note:  étoiles
Une imagination délirante
Les 7 fous
Editions Belfond
Pas facile de traduire l’argentin Roberto Arlt mort en 1942 à 42 ans d’après Isabelle et Antoine Berman qui ont traduit les 7 fous » roman qui se passe à Buenos Aires. « Arlt expliquent-ils avait longtemps appartenu à un espace où il n’était pas considéré comme traduisible ni digne d’être traduit. Pour trouver une forme de littéralité possible, nous avons pensé à notre position de traducteurs. La traduction des 7 fous allait subir notre « censure », porter la marque de notre place, de notre histoire. Là où la forme littérale de la redite devenait insupportable en français, nous l’avons décalée, déplacée jusqu’à ce que soudainement, imprévisiblement, elle restitue le rythme hagard et haletant de l’original. Au risque de parfois choquer le lecteur, nous avons maintenu sans craindre de forcer le français le système des images, des associations, des dérives verbales. » Dérives verbales effectivement et il y en a beaucoup dans ce livre qui met en scène des personnages très marquants de par leur folie et leur extravagance. Comme le dit l’écrivain Julio Cortazar dans sa préface c’est un roman inimitable. Il raconte l’histoire d’Erdosain employé à La Compagnie sucrière et qui a volé dans la caisse six cent pesos et sept centimes. Dénoncé, il est contraint de rembourser cette somme. Délaissé par sa femme au même moment, et ne sachant comment se sortir de cette fâcheuse situation, il va aller trouver l’Astrologue personnage totalement mégalo. Celui-ci a pour projet de fonder une société secrète financée par les revenus de maisons closes.. C’est avec cinq autres hommes aussi farfelus qu’il veut monter cette opération. Ensemble, ils veulent provoquer la révolution dans leur pays et dans le monde ceci par des moyens inavouables. « Mon but a avoué Roberto Arlt est de mettre en évidence la manière dont j’ai cherché la connaissance au milieu d’une avalanche de ténèbres. » Et on plonge effectivement dans les bas-fonds de Buenos-Aires au milieu des brigands. Avec un héros en proie à la misère, quelque peu névrotique qui pour se voiler la face nage au milieu d’un océan de fantasmes tous plus fous les uns que les autres. Dans ce livre, l’auteur laisse complètement aller son écriture et parfois c’est difficile de supporter tellement il va loin dans le délire et tellement son imagination abracadabrante prend son envol. C’est un livre étonnant qui mérite d’être découvert mais qui peut parfois rebuter par son flot de situations loufoques. Et parce qu'à certains moments, les images partent dans tous les sens…
Agnès Figueras-Lenattier
Une noire et géniale prophétie 9 étoiles

Roberto Arlt dans ce roman visionnaire saisit un monde fracassé et menacé par le totalitarisme avec une énergie hallucinante et une écriture oralisée et accidentée décoiffante. Ce récit nocturne, expressionniste, satanique mais sans Satan, oscille entre vices sociaux et perversions individuelles.
Sublimant le ressentiment social, Arlt fait preuve d'une extrême lucidité pour décrire le totalitarisme et la nature pathologique des messianismes autoritaires. Dans un style d'une frénésie impuissante, Arlt met en scène des personnages velléitaires aspirant à détruire une société aussi abjecte qu'hypocrite, tout en assumant leurs actes les plus transgressifs.
Tout y est dérangeant autant qu'hétérogène, véritable gifle mêlant la technique cyclothymique du feuilleton, une narration diffractée assurée occasionnellement par un commentateur à l'identité mal déterminée, l'analyse de conscience à la Dostoïevski et un langage piégé entre préciosité et vulgarité.
Paru en 1929, ce roman vertigineux, d'une originalité inouïe, est une noire et géniale prophétie d'une Amérique Latine à la dérive.

Phil SMT - - 63 ans - 19 septembre 2020