Empire des chimères
de Antoine Chainas

critiqué par Alma, le 4 juin 2019
( - - ans)


La note:  étoiles
Sous l'emprise d'un jeu de rôles
Si l'on ne m'avait offert EMPIRE DES CHIMERES , je crois qu'il ne me serait pas venue l'envie de le découvrir ….............
Rien ne m'aurait attirée : ni l'illustration de couverture, ni le titre, encore moins certaines expressions de la 4e de couverture «  brouiller la frontière entre fiction et vraie vie …...mondes alternatifs » . Les polars, je les aime, mais bien ancrés dans la vraie vie !!
J'en ai commencé la lecture un peu inquiète et très vite je me suis sentie à l'aise.

L'ancrage dans la réalité est bien là, dans la France de 1983, sous la présidence de Mitterrand, à Lensil, triste petite commune rurale à l'atmosphère stérilisante comme il en existe tant, que les jeunes rêvent de quitter, bouleversée brusquement par la disparition d'une petite fille .
La bourgade est en émoi, chacun suppute, certaines personnes un peu louches feraient de parfaits coupables …. La police enquête. De son côté le garde-champêtre fait ses propres recherches .

C'est toute une galerie de personnages ordinaires que l'on rencontre dans la France profonde, qui vivent sous nos yeux ( le garde-champêtre,le maire, l'institutrice, le boucher, la coiffeuse , l'agent immobilier, le cafetier et sa serveuse et d'autres encore..... ) .
Antoine Chainas les surprend dans leur quotidien, leur intimité, leurs rapports avec les voisins, dans leurs faiblesses aussi, souvent hantés par les fantômes de leur passé .
Ils sont tous vrais et pour cela, ils sont attachants. Le lecteur a les mêmes au coin de sa rue …..
L'auteur rend sensibles la tristesse de leur vie, la grisaille des rues de Lensil, la boue des chemins, la densité lugubre des taillis et le développement inquiétant d'étranges moisissures aux filaments blanchâtres qui rongent meubles et murs et colorent déjà l'ouvrage d'une tonalité fantastique.

Un autre ancrage, cette fois dans une expérience commerciale d'investissement international .
De l'autre côté de l'Atlantique, à Los Angeles, Lawney Industry, leader américain de divertissement, qui a déjà développé la première version d'un célèbre jeu de rôles dans lequel sont plongés quelques adolescents de Lensil, envisage de s'implanter en France en créant sur les terrains improductifs de Lensil un parc d'attractions.
Un projet ambitieux qui entraîne affairisme, rivalités, combines, espoirs de gros profits et projette le lecteur dans l'univers froid et calculateur d'un business où se trouvent impliqués des responsables politiques français.

J'en viens maintenant à ce que promet la 4e de couverture, « ces mondes alternatifs » dont l'annonce m'effarouchait .
Ils sont présents dans les séquences portant sur ce jeu de rôles immersif addictif et violent : Empire des chimères auquel s'adonnent les adolescents du village, qui les entraîne dans un univers parallèle où réel et fiction se confondent et imprègne l'ensemble de leurs comportements. ( Une petite réserve concernant les dialogues que l'auteur prête à ces enfants , il les fait parler comme des adultes ! )
Certes, ces scènes sont quelque peu déstabilisantes pour un esprit cartésien, qui s'interroge : Où suis-je ? Dans quel univers suis-je transporté ? mais elles sont savamment dosées, se glissent insensiblement dans l'intrigue principale, et ne rompent pas l'équilibre de ce roman à la structure éclatée mais toujours maîtrisée .
On se laisse embarquer dans ce labyrinthe narratif qui déjoue l'espace et le temps. Il faut reconnaître à l'auteur l'art de montrer comment l'esprit altéré des enfants se projette sur le cadre naturel de l'action, de contaminer ainsi son lecteur qui a parfois l'impression de vivre un cauchemar éveillé au coeur des « Epouvantables terres » . Je dois avouer cependant que j'ai été désagréablement secouée par la tonalité « gore » de certaines scènes.....

Ces chimères, créatures d'un bestiaire fantastique, êtres composites, hybrides, qui associent les corps de deux animaux et combinent pouvoir de la bête et facultés de l'être humain ont vampirisé l'imaginaire des enfants. Elles apparaissent aussi de façon obsessionnelle dans l'esprit dévasté de Séverine la mère de l'enfant morte.
Ne seraient-elles elles pas aussi la métaphore des aspirations à la toute puissance, des spéculations financières, du rêve fou de concevoir « une entreprise dédiée au fantastique merveilleux » qui se propose de recréer « des villages d'antan qui gomment les limites de la réalité »
Chimères dont l'emprise semble infinie, combinant en une seule créature la sauvagerie de l'animal et les calculs de l'être humain, et constituant un véritable empire.

J'ai apprécié l'écriture au rythme énergique, aux phrases plutôt courtes, juxtaposées, qui semblent des étincelles qui crépitent, ponctuées de métaphores à l'effet magnétique.

Une véritable aventure de lecture qui m'a emmenée loin de mes habitudes, et qui me donne envie de connaître mieux ce qu'Antoine Chainas a déjà publié. Je commencerai par PURE , paru en 2013 que la médiathèque de ma ville présente en ses rayons .