Chanel, une allure éternelle
de Lynda Maache, Bertrand Meyer-Stabley

critiqué par Antihuman, le 23 mai 2019
(Paris - 41 ans)


La note:  étoiles
La dame aux jeux de miroirs
Ce gentil petit livre à la gloire de Chanel est constitué comme un hamburger : entre deux tranches de pain (people & têtes couronnées amants de Mademoiselle + infos à la Nadine de Rotschild) il y a la viande (Coco Chanel et son style) quoique vidée de son gras et aseptisée, après cela venant le fromage (Karl Lagerfeld) les tomates et les fioritures (strass et show spectaculaire, non grand-public, et coûteux) !

En oubliant que Gabrielle Chanel eut un destin sauvage et mouvementé et surtout infiniment controversé !

Car née au XIXème siècle de parents auvergnats et paysans vendeurs sur le marché, celle-ci n'aura de cesse de créer en passant d'abord une grande partie de sa jeunesse dans un couvent, dont elle puisera ensuite une très grande somme d'idées pour Chanel – à commencer par la rigueur et l'austérité quasi-religieuse de la marque (à commencer par l'opposition noir et blanc du costume de bonne soeur catholique) et de ses femmes brunes androgynes. Passant toutefois son temps à réinventer sa vie et qualifiée très jeune et à tort par ses camarades d'extrême mythomane, Gabrielle commencera finalement sa carrière dans un tripot en chantant pour les marins et des hommes du monde qui étaient là et qui eurent accès à ses charmes tout en la faisant monter de classe sociale.


Ensuite, féministe ardente avant l'heure, ce sera elle la première qui en fondant la maison Chanel enverra spectaculairement voler corsets et faux-culs de l'époque (tout en montant ses chevaux comme un homme.) D'une certaine manière Gabrielle est LA suffragette du début du XXème siècle !

Mais cet ouvrage calculé fait donc l'impasse sur les côtés les plus sombres de Chanel et sur son antisémitisme farouche et légendaire qui trouvera d'ailleurs consécration sous l'Occupation en 1941 d'abord pour la principale raison que Gabrielle se fera « voler » avant-guerre par le juif Wertheimer la plupart des droits de Chanel (dont ceux du N° 5...) ; chose dont elle se plaindra à ses amis nazis alors qu'elle avait réintégré le Ritz. Bien sûr il sera dit après coup qu'il s'agissait juste de plaisants de passage car il fallait bien vivre en femme du monde. Outre le fait qu'il fût grandement chuchoté après-guerre que cette véritable Mata-Hari était employée en tant qu'espionne de l'Abwehr sous le matricule F-7124 (pseudo: Westminster selon la police) !

Puis ce livre aux ellipses nombreuses choisit surtout de nous parler de l'histoire du petit marquis mondain, obéissant, et discipliné qu'était Lagerfeld; qui sera quant à lui presque tout le reste de sa vie - après la disparition de la dame au double-C - le symbole mondial et la figure de proue de la rue Cambon, en clonant et réinventant ses mythes tout en vaporisant sur la marque une grosse bombe de strass. Chanel explosera littéralement pendant les 80's alors que son fameux tailleur était considéré comme le top du ringard du quartier du XVIème, la marque étant devenue une icône capitaliste du pop-art et du vedettariat dispatché par tout un rayon de produits pour chaque création originale de la maison de haute-couture. Jusqu'à en vomir (et en oubliant le fait que Coco Chanel haïssait l'idée même de pantalon pour femme.)

On peut aussi gloser sur le fait que de préférer le surréalisme et le faste de certaines autres marques comme Balenciaga ou Courrèges n'est pas forcément une faute de goût, Chanel n'ayant pas tout inventé (tout comme pour ma part le fait de préférer le physique généreux et teuton de Claudia Schiffer à cette Brune télégraphiste sous-alimentée qu'était Inès de la Fressange. C'est un choix.) Ah, marketing quand tu nous tiens.

Quoique le temps où Gabrielle « Coco » souhaitait son bon goût à disposition de toutes les françaises est maintenant définitivement révolu - à part peut-être pour certaines rombières et autres stars - aurait-on donc manqué d'explorer un épisode de la grande dame élégante aux colliers et aux jeux de miroirs ?