La petite fille qui en savait trop
de Peter May

critiqué par Nathavh, le 13 mai 2019
( - 60 ans)


La note:  étoiles
coup de coeur
Cette fois Peter May ne nous emmène pas en Ecosse, c'est un écossais qui vient à Bruxelles en la personne de Bannerman, il est journaliste à l'Edinburgh Post.

Nous sommes en 1979, en pleine campagne britannique. Des élections auront bientôt lieu pour désigner le futur Premier Ministre du Royaume Uni. Bannerman arrive à Bruxelles pour quelques semaines et découvre les us et protocoles du Marché Commun (à l'époque, le prédécesseur de la Communauté Européenne) Il est à la recherche d'idées d'articles. C'est son collègue Timothy Slater qui l'hébergera durant son séjour bruxellois.

En même temps que lui arrive Kale, un ancien combattant des forces armées britanniques, il a un contrat pour exécuter Gryffe ( l'actuel Ministre des Affaires étrangères britannique en poste à Bruxelles, il est pressenti comme prochain Premier Ministre) et Slater.

L'assassinat a lieu chez Gryffe. Il n'y a aucun doute sur le meurtre, l'arme se trouve dans la main droite de Slater qui est gaucher, c'est bien l'arme de Gryffe mais il n'a jamais pris d'entraînement de tir, une mallette contenant 250.000 GBP est retrouvée. Malgré tout l'affaire qui dans un premier temps fait beaucoup de bruit est étouffée , classée sans suite. Étrange !

Bon, on pourrait croire au crime parfait mais pas vraiment, Tania la fille de Slater a tout vu, elle était dans le hall d'entrée attendant son père. Tania est autiste, elle ne parle pas, difficile de communiquer avec elle mais elle est extrêmement douée en dessin et a reproduit la scène, interrompue, elle n'a pas terminé le visage de l'assassin, on le surnommera "l'assassin sans visage".

Pour Bannerman, le crime est évident, il va mener l'enquête pour en comprendre les raisons et pour en connaître le commanditaire. Il doit bien cela à Tania qu'il veut protéger et pour qui il porte une affection particulière.

C'est palpitant. Une fois de plus, Peter May nous capte d'entrée de jeu et nous invite à résoudre l'enquête avec ses personnages. Ce qui est frappant, c'est qu'il s'agit ici d'une oeuvre de jeunesse, il avait 25 ans à peine lors de l'écriture. Une écriture déjà caractéristique, fluide, très visuelle. Les descriptions sont précises, minutieuses. Le roman est super bien construit, les pistes et les motivations des personnages restent mystérieuses jusqu'à la fin. On reste en haleine et veut comprendre qui tire les ficelles et pourquoi.

J'ai aimé replonger fin des années 70, dans la salle de presse ; un télex, des machines à écrire, des journaux et téléphones fixes, rien à voir avec aujourd'hui et les nouvelles technologies et le tout fonctionne parfaitement bien.

C'est fou comme la psychologie des personnages est bien fouillée. Peter May déjà dépeint parfaitement la nature humaine, les profondeurs de l'âme. Ses protagonistes sont particulièrement bien aboutis.

Un roman qui nous parle de la vision de l'Europe, de l'euro scepticisme anglo-saxon, des ghettos eurocrates au coeur de la capitale ne s'intégrant pas à la population. Une certaine vision de mon pays - pas accueillants les belges, non ça je ne peux le croire ☺- nos deux langues utilisées sans nous accorder entre le Nord et le Sud, alors vous pensez bien l'Europe !! Nous sommes en Belgique au pays du surréalisme.

Et puis, un peu d'amour dans ce monde de brutes, la difficulté d'aimer, la peur de s'engager pour Sally et Bannerman, se reconstruire sur des blessures ce n'est pas simple. N'oublions pas le beau personnage de Tania, enfant autiste, un sujet dont on parlait très peu à l'époque.

Un grand Peter May, lu avec énormément de plaisir. Si vous voulez en savoir plus sur ce palpitant roman noir paru chez Rouergue que je remercie, rendez-vous chez votre libraire préféré.

C'est un coup de ♥♥♥♥♥


Les jolies phrases

Ce sont des gens si bizarres. Ils ne peuvent même pas se décider à parler le français ou le flamand.

Vous savez, il n'y a pas moyen d'échapper aux choses qu'on regrette. Elles restent là, elles vous façonnent, même sans qu'on le sache. Et puis quelque chose ou quelqu'un fait tout remonter à la surface, et tout paraît encore pire après ces années d'enfouissement.

La situation avait un côté irréel. Comme un rêve. Ou, plus exactement, un cauchemar. Une suite d'événements qu'il avait traversés sans avoir l'impression d'y participer.

Les gens ne sont pas toujours ce qu'ils paraissent être.

Ce qu'un homme fait avec ses mains est souvent le reflet de ce qui se passe dans sa tête.

Les pensées dérivaient dans son esprit comme des écharpes de brume. Dès qu'elle voulait s'en saisir, elles disparaissaient, et elle abandonnait.

Ce sont trop souvent ceux qui ont le plus besoin d'amour qui sont les plus difficiles à aimer.

En vérité, Janssen, l'on ne peut exister sans l'autre. Dans nuit, il n'y a pas de jour. Sans haine, il n'y a pas d'amour. Sans compassion, il n'y a pas d'égoïsme.

Parfois librement, parfois sous la contrainte. Un bon journaliste n'est pas seulement doué avec les mots, il sait obtenir des informations, il sait chercher. Sait où fureter, à qui demander.

Ce n'est pas non plus très juste, hein ? On peut s'avancer dans la vie en s'attendant qu'elle soit juste. Dieu, s'il existe, devait avoir la tête ailleurs le jour où il nous a mis sur cette planète, ou alors il joue à des échecs célestes dont nous sommes les pions qu'on peut facilement sacrifier sur le grand échiquier de l'univers, qu'on trouve ça juste ou pas. On peut parler de bien et de mal, même si c'est différent pour chacun de nous... Mais rien n'est juste.

Le pire, c'était de ne pas savoir ce qui était le mieux pour elle. Quand il s'agit de soi, on s'en fiche. On se maltraite. On fait tout de travers. On boit, on ignore les ordres du médecin. Mais quand il s'agit de quelqu'un d'autre, on se sent investi d'une responsabilité.

La perfection ne s'atteint qu'une fois. Jamais la deuxième fois. Ni la troisième. On passe le restant de sa vie à essayer de rattraper une illusion perdue.

Même ceux que nous aimons, ou pensons aimer, ne sont pas aussi importants à nos yeux que nous-mêmes. Voilà la véritable condition humaine. C'est ce que nous ressentons tous, mais nous avons honte d'admettre. Pourquoi, je n'en sais rien. Car l'égoïsme est l'essence de l'existence. (...)
Pouvez-vous me dire, par exemple, ce qui détermine notre vote dans une élection ? Nous votons évidemment pour le parti que nous jugeons le plus apte à nous procurer des avantages. Pourquoi pleurons-nous quand un être aimé disparaît ? Parce que nous avons subi une perte. Toutes les motivations sont égoïstes, même les motivations religieuses lorsqu'on promet la vie éternelle au ciel en récompense d'une vie pieuse sur la terre.