La peau et les os
de Georges Hyvernaud

critiqué par Rotko, le 21 juin 2004
(Avrillé - 50 ans)


La note:  étoiles
Une révolte fondamentale.
Dans "la peste", Tarrou raconte son horreur de la peine de mort, avec une expérience concrète. A l'occasion du procès du "hibou roux", quand son procureur de père prononce le réquisitoire. L'épisode est éprouvant, mais il reste littéraire.
Georges Hyvernaud, lui, se refuse à tout effet de manche. Il dégraisse l'expérience pour n'en montrer que le squelette brut, sans fioritures, dans sa brutalité, son évidence vécue.
Prisonnier ordinaire dans un oflag, le narrateur montre d'abord ce que le public, même familial, même composé d'êtres aimés affectueux et attentionnés, attend du prisonnier. Un récit de misères héroïquement supportées, de résistances solidaires, d'amitiés viriles.
Avec Hyvernaud, l'enrobage disparaît. On voit une promiscuité dégradante, un avilissement mutuel, l'homme mis à nu, dépouillé de ses oripeaux sociaux, moraux et idéologiques d'humanité. C'est pourquoi il insiste tant sur ce qui choque les bons usages, la nudité de l'être réduit à ses fonctions basiques, l'être puant de crasse et d'excréments, et qui s'y résigne ou s'y vautre. A une telle épreuve, son éducation chez lui ou à l'école ne l'a pas préparé. Bien au contraire, dirait-il, tout a été maquillé, travesti, caricaturé par les institutions et leurs consciencieux représentants.
Ce témoignage au style dépouillé est d'une très grande force. L'auteur est à mettre au rang d'écrivains comme Primo Lévi ("Si c'est un homme"), ou Jorge Semprun("l'écriture ou la vie")." La peau et les os" est semblable à ces récits où , dans un contexte différent, une paire de chaussures devient un trésor, où, dans la tête du survivant, même plusieurs années après, surgit inopinément l'envie de se jeter dans le vide, tant ce qu'il a vécu et ressenti est humainement insupportable.
l'Histoire des historiens n'a pas d'odeur. 5 étoiles

Présenté comme livre référence sur le sujet, j'émettrai quelques bémols. Certes l'expérience de l'auteur est hautement respectable et impose la réserve et la compassion. Passons outre ce fait et concentrons nous sur le livre. Décalé par rapport aux autres ouvrages du genre, l'expérience est différente, le livre passe outre certains faits pour focaliser sur d'autres qui ne sont pas inintéressants mais manque de conviction. La vie dans les baraquements, les méthodes de survies intellectuelles, l'hygiène, le retour en famille marquée par le décalage entre ceux qui n'ont pas vécu les même atrocités. 150 pages pour nous dire que l'homme est toujours un loup pour l'homme. Des saillies prophétiques ( la vision d'un monde médiatique actuel), alors que l'ouvrage a été rédigé dans les années 40, la querelle avec Peguy à laquelle je n'ai rien compris. Intéressant, différent, décalé. Primordial ? S'en doute pas. Indispensable ? s'en doute, surtout à l'égard de nos jeunes générations où me semble-t-il l'oubli est en train de poindre dans leur culture numérique consumériste. Ce livre ne m'a pas marqué comme d'autres déjà cités, en revanche aucun témoignage ne doit être occulté et celui là en fait malheureusement parti. A réservé à ceux qui veulent approfondir cette sombre époque et comprendre pour ne plus accepter ces choses.

Hexagone - - 53 ans - 5 août 2009


Et nos soldats! 10 étoiles

On ne trouve pas dans ce livre d'images aussi crue comme on en trouve souvent dans les livres concentrationnaires. Hyvernaud met en lumière les liens qui unissent les soldats malgré eux dans la défaite française de 40. La plupart d'entre-nous ont des parents, des grands-parents ou des vieux amis qui ont connu les stalags. A travers ce livre , on comprend un peu mieux leur silence et leur impossibilité de nous communiquer le ressenti des situations qu'ils ont vécues.

"Notre joie s'est bêtement éparpillée. C'est comme ça que nous l'avons ratée, la scène du retour. On remet sa vieille veste, sa vieille vie. La vie se remet à couler dans ses vieilles rigoles"

"Voilà ce que j'aurai rapporté de mon voyage: une demi-douzaine d'anecdotes qui feront rigoler la famille à la fin des repas de famille"!

Smokey - Zone 51, Lille - 38 ans - 15 août 2008


Dramatiquement méconnu... 9 étoiles

« Quand on est pauvre, il ne faut pas être difficile. L’orgueil, la dignité, c’est un luxe de gens heureux. Nous, on est des pauvres, et moins que des pauvres. Des espèces de clochards. Des types pareils à ces chômeurs qui rôdent le long des boutiques, dans les villes, sans goût à rien, résignés, abjects – ces hommes bien désagrégés, bien finis, qui s’en vont les mains dans les poches, vers là ou vers ailleurs… »

Voilà l'ancrage profond du livre, constat désespéré, tantôt atone et tantôt brutal, du fossé entre l'humanité libre et la prisonnière. Il me revient un passage où le narrateur prend à parti l'"énergie spirituelle". Un autre où c'est le Péguy du patriotisme et de "l'héroïsme de 14-juillet".

Prose poignante, poétique et souvent pleine d'ironie, proche de Céline et d'Aragon auxquels il s'apparente lorsqu'il saisit la contenance des personnages et traverse les couches sociales, allant de Faucheret et de Pochon au polytechnicien Percheval ("Les Allemands l'ont envoyé dans un asile, et l'avenir de Percheval il vaut mieux ne plus y penser.")

Un autre roman attend une critique, Le Wagon à vaches, que je n'ai malheureusement pas lu...

Joachim - - 44 ans - 1 avril 2006


Formidable efficacité 10 étoiles

C'est l'équivalent du livre de Primo Levi,mais qui évoque la vie dans les camps de prisonniers de guerre. Même si ce n'est pas comparable aux camps de concentration, les conditions de vie misérables, la promiscuité, la saleté, peuvent briser un homme, le meurtrir pour la vie.....Quant au style sobre,sec, avec les mots qui font mouche, c'est impressionnant.Comment a-t-il trouvé chaque fois le mot juste, celui qui fait mal! Ex:" En juin 40.Nous étions alors des centaines de milliers de vaincus qui coulaient lentement sur les routes de France et de Belgique. Un immense fleuve de défaite".---------------------------------------------------------------Mais ce qui m'a le plus frappé, c'est son évocation du retour "à la vie" des retrouvailles avec sa Louise, sa femme.
"Notre joie s'est bêtement éparpillée. C'est comme çà que nous l'avons ratée, la scène du retour. On remet sa vieille veste, sa vieille vie. La vie se remet à couler dans ses vieilles rigoles".-----------------------------------------------------------
G.Hyvernaud m'a fait penser à Régis Jauffret, qui atteint la même efficacité pour la période contemporaine, surtout depuis "Fragments de la vie des gens". Le style et le pouvoir des mots sont tellement justes qu'ils provoquent parfois un rire nerveux dont il est difficile de déterminer l'origine.
L'on comprend mieux le silence de ces être humains qui savaient l'impossibilité de communiquer le "ressenti" de ces situations.
"Voilà ce que j'aurai rapporté de mon voyage: une demi-douzaine d'anecdotes qui feront rigoler la famille à la fin des repas de famille"!
Rideau.

Donatien - vilvorde - 81 ans - 30 août 2004


un chef-d'oeuvre terrible! 7 étoiles

C'est un livre magnifique plein d'émotion de tristesse mais aussi d'espoir.
Hyvernaud nous décrit avec un réalisme cru ce voyage dans ce monde de terreur, de haine et d'humiliation.

Un grand livre sur la condition des prisonniers de guerre pendant la seconde guerre.

Lalaith4 - - 38 ans - 27 août 2004