Louise
de Isabelle Alentour

critiqué par Débézed, le 6 mai 2019
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
L'innocence martyrisée
Pur produit de la formation scientifique Isabelle Alentour s’est d’abord tout naturellement investi dans le monde de la recherche avant d’évoluer vers une application plus concrète de son savoir dans le domaine clinique. Elle aborde ensuite l’écriture et propose ce recueil de poésie qui est, pour moi, plus qu’un recueil de poèmes, c’est l’histoire d’une fillette devenue grande, l’histoire de Louise qui aurait suivi le parcours d’Isabelle dans les laboratoires, au chevet des patients, dans toute l’insouciance d’une fillette qui aime ses doudous, les colifichets, les jolis atours, le petit monde qui l’entoure. Mais, en espérant que ce ne soit que de la fiction, Louise est une petite fille trop mignonne qui attire le regard des pervers dont elle devient vite la victime, l’innocence incarnée qu’on martyrise.

Louise, c’est un texte doux, fin, léger, arachnéen, des vers qui s’envolent comme des oiseaux dans un verger ou des feuilles dans une fraîche brise, même s’ils racontent souvent le calvaire de Louise qui commence comme toujours par des regards qui pourraient paraître innocents, surtout aux yeux d’une fillette impubère.

« Cela se passait chaque soir au coucher.
Il se pointait à la porte de la chambre, s’appuyait au chambranle et,
Durant tout le temps de la mise en pyjama, me tripotait de son regard. »

Les regards se font de plus en plus lourds pour prendre consistance, devenir caresses puis gestes et actes sexuels.

« Le sens de tard dans la nuit j/e l’ai appris l’année de mes quatorze ans,
Depuis j/e ne dors plus. »

Louise ne sait même pas nommer ce qu’elle voit, ce qu’elle ressent, ce qu’elle subit, elle n’a pas les mots pour dire ce qu’on lui inflige. Elle régresse, ses repères se dispersent. Son langage n’est pas fait pour raconter ce que l’adulte lui impose.

« Peu à peu mes lettres se relient.
Certaines, j/e les partage avec certains.
Avec d’autres aucune.
Toutes avec aucuns.
Et avec certaines, pas toutes je vous prie. »

Louise a perdu son identité, elle ne sait plus qui elle est, elle craint son entourage sans avoir qui réellement redouter.

« Est-ce que j/e suis, ce que j/e tente d’être, ce que je n’ose être.
Parfois j/e ne sais qui être.
Pour un peu j/e rêverais d’avoir les ailes d’un oiseau. »

Isabelle Alentour a écrit un très beau texte, un texte que j’ai beaucoup aimé même s’il raconte des choses horribles, des choses qui deviennent encore plus insupportables, plus intolérables, quand elles sont décrites avec tant de douceur et de candeur, d’innocence et de virtuosité littéraire. Le texte accompagne la fillette dans sa régression psychique et comportementale en se dégradant, se déstructurant au fur et à mesure que la fillette glisse dans un monde qu’elle ne connait, qu’elle ne comprend pas, qu’elle n’accepte pas, qui la souille à jamais.

« Tout ventre de fille ébréché est un pays envahi. »

LansKine