My Heart Belongs to Oscar
de Romain Villet

critiqué par Débézed, le 9 avril 2019
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Et que ça swinge !
Romain Villet c’est un brillant étudiant qui a échappé par miracle à un avenir doré de grand commis de l’Etat ou de politicien laborieux en tombant dans la marmite du jazz sous l’influence de sa petite amie qui l’a convaincu de la suivre à un concert où il est tombé en pâmoison en entendant le célèbre May heart belongs to daddy interprété par le trio du tout aussi célèbre Oscar Peterson. C’est après ce concert qu’il a décidé de reprendre le piano qu’il avait abandonné à l’adolescence et, à force de travail, il est parvenu à atteindre un très bon niveau et à pouvoir jouer sur scène. « L’amour, c’est la route qui mène à de grandes découvertes, sur laquelle on se laisse mener par le bout du … nez. »

Il a créé un spectacle qu’il donne avec un bassiste et un batteur, formation qu’Oscar Peterson a utilisée lui aussi parmi d’autres, ce spectacle c’est ce qu’il raconte dans ce livre. Le trio joue des standards du jazz entrecoupés par des propos qu’il adresse au public, car il ne lit pas, il est non voyant depuis l’âge de quatre ans. Il raconte ce qu’est le jazz en commençant par le petit bout de la lorgnette : le morceau qu’il préfère, le « saucisson » d’Oscar Peterson. Il explique aussi ce qu’est un « saucisson » dans le jazz. Ce qu’est le swing, ce qu’est le jazz en élargissant chaque fois un peu plus son propos pour démontrer que cette musique est l’expression du présent, un moment de joie et de bonheur tellement nécessaire dans un monde si triste. « Ce qui compte par-dessus tout, c’est ce qu’on crée, c’est ce qu’on sert, ce qu’on produit et ce qu’on donne, ce qu’on fabrique et ce qu’on offre, là, maintenant, tout de suite, au présent, avec son corps et ses dix doigts ».

Le lecteur ne peut être que frustré de ne pas entendre la musique jouée par ce trio, il ne se délectera pas du swing de Romain Villet et de son trio, « le swing, c’est prendre en souriant et au sérieux le présent qui se présente, c’est l’épouser par amour ». Mais, il a la chance de lire sa prose pleine de verve et de vitalité, enjouée, facétieuse, où fusent, comme les rips du jazzman, les jeux de mots, les calembours, les aphorismes et les raccourcis fulgurants. Alors après avoir lu ce petit livre, il ne reste qu’à trouver la meilleure occasion d’entendre et voir ce fameux spectacle.

Ce recueil est complété par deux courts textes : un dialogue entre Villet et un spectateur un peu béotien qui croit avoir compris ce qu’est le jazz sans en avoir jamais joué et une liste de très bonnes raisons pour lesquelles il aime jazz. Moi, je n’ai retenu que la dernière en acceptant toutes les autres : « Parce que sans cesse il répète différemment que la répétition n’existe pas. Parce qu‘il se passe de raison, se moque des raisons, se délivre des raisons, parce que c’était lui et parce que c’était moi ». Avec ces courts textes, Villlet démontre une fois de plus qu’un petit livre plein de verve, d’enthousiasme et de conviction, assaisonné d’un doigt d’exubérance est bien plus convainquant qu’un gros pavé ennuyeux. Le jazz n’aurait pas supporté la longueur et la lourdeur, « Fugace, le jazz est un présent » et ce petit recueil est un moment de bonheur de lecture tant l’auteur emporte le lecteur dans le swing de son enthousiasme.