Tempête rouge
de Tsering Dondrup

critiqué par Débézed, le 3 avril 2019
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Libération sanglante
Avant de plonger dans la tempête rouge qui déferle sur les plateaux tibétains, il convient d’évoquer la genèse de ce livre et l’histoire de son auteur toujours interdit de passeport dans son pays natal. Tsering Dondrup est un écrivain à la notoriété bien établi entre le Tibet et le Qinghai, province qui comporte actuellement la plus grande partie de l’ancienne province tibétaine de l’Amdo d’où il est originaire et où il réside toujours, quand, en 2005, il décide d’écrire un roman dont l’intrigue raconte l’histoire de la « libération du Tibet », expression qui signifie pour les Tibétains la conquête de leur pays et son intégration dans l’immense Chine populaire. Ce livre ayant été refusé par tous les éditeurs officiels, contrôlés par le gouvernement, il l’édite à compte d’auteur, à mille cinq cents exemplaires très vite vendus. Les autorités n’ont pas eu le temps de l’interdire mais, en 2013, quand une nouvelle édition est publiée à Hong Kong, avec une préface de Li Jianglin, militante de la cause tibétaine aux Etats-Unis, la censure sévit et les tracasseries à l’endroit de l’auteur se multiplient. La traductrice dans un excellent avant-propos raconte l’histoire de l’auteur, l’aventure de ce texte et explique son contenu.

Pour ruser avec la censure, ou tout simplement pour ne pas trop s’exposer, Tsering Dondrup écrit une fiction assez complexe qui ne respecte aucune chronologie, ne laissant que quelques indices entre les descriptions pour situer et dater les événements racontés. L’histoire qu’il a conçue, met en scène un lama, Yak Sauvage Rinpoché, un homme très jeune, très riche, très adulé par ses fidèles et aussi très capricieux. Comme il est la réincarnation d’un Bouddha, on satisfait toutes ses attentes. Quand les Chinois pénètrent en Amdo, il comprend vite qu’il ne peut pas s’opposer à cette troupe très supérieure à la sienne, il décide alors de collaborer. Mais, après l’avoir abondamment utilisé, les Chinois l’arrête avec toutes les élites religieuses et sociales à l’occasion de la répression du soulèvement de 1958 en Amdo. Il connait alors la grande famine provoquée par le Grand Bond en avant prôné par Mao. Toujours aussi veule, en prison, il dénonce ses codétenus et même ses fidèles amis. Il subira de nouvelles privations à l’occasion de la Révolution culturelle des années soixante-dix. Les aventures de ce lama racontent les exactions extrêmes commises par les Chinois au Tibet où plusieurs millions d’individus ont été éliminés notamment par la famine, la maladie et les travaux forcés. En Occident, un certain nombre de personnes se souviennent encore des événements qui ont ensanglanté Lhassa en 1959 et occasionné le départ du Dalaï Lama, mais très peu sont celles qui ont entendu parler des atrocités commises en Amdo l’année précédente.

Ce livre c’est avant tout la dénonciation de ces atrocités commises en Amdo, pays de l’auteur, par les Chinois mais aussi l’attitude coupable de certains Tibétains, même parmi les plus hauts dignitaires religieux, ayant commis des exactions toute aussi cruelles que l’envahisseur. Tsering Dondrup démontre comment les Chinois ont tenté d’éradiquer tout un peuple, une religion, une culture et même un environnement qu’ils ont profondément bouleversé. Yak Sauvage Rinpoché n’a pas reconnu son pays quand il est sorti de captivité, la sinisation avait fait son œuvre. Cette lecture m’a ramené à celle des mésaventures que le moine Päldèn Gyatso a dévoilées dans Le feu sous la neige que j’ai lu il y a de nombreuses années déjà. Et, samedi, tard dans la nuit, en me promenant sur les chaînes du câble, je suis tombé sur une scène où les Chinois malmenaient des Tibétains pacifistes dans le fameux film Sept ans au Tibet, je ne l’ai pas regardé très longtemps, je connais l’histoire pour avoir lu le roman d’Heinrich Harrer quand j’étais jeune. Le Tibet est moi c’est une bien vieille histoire pleine de sang, de douleurs, de cruauté, de trahison et d’avanie.