Le livre noir des Bleus, Chronique d'un désastre annoncé
de Vincent Duluc

critiqué par Incertitudes, le 19 mars 2019
( - 40 ans)


La note:  étoiles
La Coupe du monde de la honte
Vincent Duluc, une des plumes du journal L’Équipe, retrace une des pages les plus noires du foot français voire même du sport français tout entier. La grève de l'entraînement des Bleus en pleine Coupe du Monde 2010 en Afrique du Sud. Événement qu'on avait pu suivre quasiment en temps réel grâce aux chaînes d'information en continu et qu'on avait surnommé comme étant la première grève des milliardaires.

Si Duluc en décrit heure par heure les différentes étapes en démarrant par la pitoyable intervention de Ribéry à Téléfoot le matin, il insiste surtout sur cette somme de choses qui ont fait qu'on en est arrivé là. Car un tel fiasco, comme celui de la Coupe du monde 2002, provient toujours d'un ensemble de petits détails qui mis bout à bout engendrent un véritable désastre.

Ce désastre, c'est Raymond Domenech. Duluc lui accorde des circonstances atténuantes. L'usure du poste. La fatigue générale. Sa finale de la Coupe du monde 2006. Beaucoup disent que c'est Zidane qui a tout fait. Que l'équipe de France s'était gérée toute seule. Mais c'était quand même Domenech sur le banc. Et il s'en est fallu de pas grand-chose pour qu'il devienne un dieu comme son mentor Aimé Jacquet. Que Vieira ne se blesse pas à l'heure de jeu et qu'il soit contraint de sortir. Que Zidane ne se fasse pas expulser pour ce célèbre coup de tête asséné à Materazzi. Que Trezeguet ne propulse pas son tir au but sur la transversale de Buffon. Duluc connaît Domenech depuis ses années lyonnaises entre 1988 et 1993 et parle des connexions entre le journal et l’Équipe de France qui auraient toujours existé. Son jugement est peut-être moins sévère que le fan de foot. Encore qu'il est le premier à dire que c'est sa communication désastreuse (je ne suis pas sûr de l'avoir entendu parler de football pendant ses six années comme sélectionneur) et l'incompréhension suscitée par ses choix qui l'auront perdu. Moi, je note qu'il aura tout de même qualifié trois fois la France pour la phase finale d'une grande compétition. Ce n'est pas rien si on se souvient que la France ne s'était pas qualifiée pour la Coupe du monde 1990 et 1994. Dieu sait qu'il m'aura énervé mais j'aurai trouvé intéressant de voir ce qu'il aurait pu faire avec de vrais joueurs. On peut aussi lui accorder qu'en lisant ce fameux communiqué face caméra il aura cherché à protéger jusqu'au bout ses joueurs qui ne le méritaient pas.

Les joueurs, parlons-en. Duluc insiste sur leur égoïsme, leur bêtise, leur manque d'éducation et de talent inversement proportionnel à leur goût pour l'argent et le pouvoir. Et je ne peux qu'y souscrire. Cela dit, c'est une question de cycle. Après la bande à Platini avec en point d'orgue la victoire à l'Euro 1984, il s'est écoulé un certain temps pour qu'une autre génération prenne le relais. C'est la génération Deschamps amenant la victoire de 1998 et de 2000. Mais ensuite... Il faut accepter que la génération suivante soit moins bonne. Qu'il y ait des trous en attendant la suivante. Et là, c'est vrai qu'on a été gâté. D'ailleurs, je constate qu'avec la retraite internationale de Deschamps et de Blanc en 2001, c'est à partir de ce moment-là que les résultats ont commencé à se dégrader.

Enfin, Duluc nous plonge dans les arcanes de la fédération française de football et de son mode de fonctionnement archaïque. Je l'avais vu à l'époque mais son président, Jean-Pierre Escalettes, soixante-quinze ans, provenant du football amateur, était complétement à la ramasse. Souvenons-nous de cette conférence de presse surréaliste avec Patrice Evra où Evra ne parle que de la fameuse "taupe" alors qu'il reste un match à disputer. Le costume de président était trop grand pour lui.

Malgré tout le mal qui a été fait, le refus de Domenech de serrer la main du sélectionneur brésilien de l'Afrique du Sud, Carlos Alberto Parreira, champion du monde 1994 n'est qu'un exemple parmi tant d'autres, malgré tant d'incompétence à tous les niveaux (Domenech s'étonnait que personne ne lui demande de démissionner après l'Euro déjà raté de 2008, Rama Yade, Secrétaire d’État aux Sports et Roselyne Bachelot, Ministre des Sports, qui ne s'y connaissaient absolument rien), il y a des échecs qui peuvent s'avérer utiles pour tout reconstruire. Aurait-on été champion du monde en 1998 si on ne s'était pas planté lors du France-Bulgarie de 1993 ? Aurait-on fait une finale à l'Euro 2016 et une deuxième victoire en coupe du monde en 2018 s'il n'y avait pas eu les mutins de Knysna ? Aussi désagréable que fut cette période 2008-2010, il fallait peut-être en passer par là.