Linguistic Justice for Europe and for the World
de Philippe Van Parijs

critiqué par Elya, le 28 février 2019
(Savoie - 34 ans)


La note:  étoiles
Les langues en démocratie
À l’heure où le mouvement des Gilets jaunes, à raison, fait le constat des limites de notre démocratie essentiellement représentative, poussant vers plus de démocratie directe, il y a une condition d’application de la démocratie directe qui est très peu discutée : le fait que tous les individus concernés par une prise de décision puisse comprendre et s’exprimer dans une langue qu’ils et elles maîtrisent. Il est difficile en effet de pouvoir imaginer que des personnes ne maîtrisant pas une langue soient à l’aise pour prendre des décisions dans cette langue, même si elles les concerne en premier lieu.

Phillipe Van Parjis est un philosophe belge, assez connu pour ses écrits généraux sur ce que sont l’éthique et la justice sociale, qui l’ont emmené à proposer un revenu universel. Il a écrit divers ouvrages sur le sujet, en n’oubliant pas de parler des autres propositions qui, sous des modalités différentes, proposent que chaque être humain ou personne majeure dispose de manière inconditionnelle d’une somme d’argent mensuelle pour subvenir à ses besoins.
Il y a un autre sujet qui a attiré l’attention de Phillipe Van Parjis et qui lui a permis de mobiliser ses connaissances et raisonnements en éthique : il s’agit de celui de la justice linguistique, et c’est le sujet de l’ouvrage présent. Les problèmes linguistiques peuvent se poser à différents échelons : au niveau inter-individuel, lors de discussions amicales, de voisinage ou professionnelles par exemple ; au niveau national, où des gens de langue natale différente cohabitent ; et à l’échelle européenne ou internationale enfin, où les langues natales mais aussi étatiques varient beaucoup.

L’ouvrage s’articule grossièrement en deux parties. Une première, qui dresse le constat actuel : l’anglais est devenu la lingua franca, non pas à cause d’un complot d’anglophones, ou d’une certaine facilité de la langue mais pour des raisons de flux migratoires au cours des décennies dernières. Or, s’il est évident que pour fonctionner de manière démocratique à différents échelons, la question de la langue ou des langues qu’on utilise doit se poser, il est moins évident de trancher envers un scénario particulier. Van Parijs énonce quatre scénarios possibles :
- s’appuyer sur la technologie ;
- utiliser une langue non nationale comme l’espéranto ;
- recourir au multilinguisme ;
- utiliser une langue nationale, l’anglais.
Dans cette première partie, il décrira brièvement les 3 premiers scénarios possibles en expliquant pourquoi selon lui ils ne sont pas satisfaisants. C’est le quatrième scénario qui remporte l’adhésion de Van Parijs, et tout l’enjeu de la seconde partie sera de le présenter en détail, et surtout d’expliquer pourquoi et comment la question de la justice sociale doit être considérée si on adopte une langue nationale qui avantagera forcément les natifs de cette langue. Pour argumenter ce choix, Van Parijs s’appuie comme à son habitude sur des principes moraux qu’il énonce et met en perspective. Il ne s’appuie cependant pas ou très peu sur les réflexions et données empiriques issues de l’économie, où tout un champ de recherche s’intéresse à comment on peut évaluer l’effet de la planification des langues.

Ce livre est intéressant, car les ouvrages sur le sujet sont peu nombreux, et sont en général écrits par des linguistes prônant à tout va le multilinguisme, mais sans argumentation satisfaisante et solutions concrètes. Cependant, je trouve l’argumentaire de Van Parijs en faveur de l’anglais très limité. Sur le sujet, j’adhère beaucoup plus à l’argumentaire de François Grin, qui a d’ailleurs à plusieurs reprises critiqué (avec toujours beaucoup de respect et convivialité) les écrits de Van Parijs sur la justice linguistique. On lira par exemple avec plaisir le commentaire de Grin L’anglais comme lingua franca : questions de coût et d’équité. Commentaire sur l’article de Philippe Van Parijs.