Les poèmes de Sabine Sicaud
de Sabine Sicaud

critiqué par Eric Eliès, le 27 février 2019
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Poèmes d'enfance... et de douleur
Sabine Sicaud fut célèbre en son temps en raison d’une précocité extraordinaire qui lui valut d’être surnommée le poète-enfant. Son unique recueil, publié en 1926 avec une préface d’Anna de Noailles qui l’avait découverte à l’occasion des Jeux Floraux, s’intitulait d’ailleurs « Poèmes d’enfant ». Elle mourut en 1928, alors qu’elle avait à peine 15 ans et demi, au terme d’une longue maladie infectieuse après s’être blessée à la jambe.

Cette édition de 1958, publiée pour l’anniversaire de sa disparition, est précédée d’une préface de François Millepierres qui inscrit l’oeuvre de Sabine Sicaud dans le contexte d’une vie à la fois choyée et à l’écart. Sabine Sicaud a vécu toute sa vie au domaine familial de Solitude, sans fréquenter l’école. Les professeurs se déplaçaient à la maison, une gentilhommière dans un grand parc arboré où Sabine passait ses heures à se promener et à s’enivrer de verdure. Le premier poème du recueil, un de ses poèmes d’enfance, présente ainsi « Solitude » :

« La solitude »

Solitude… Pour vous cela veut dire seul, / pour moi – qui saura me comprendre ? / Cela veut dire : vert, vert dru, vivace tendre, / Vert platane, vert calycanthe, vert tilleul.

Mot vert. Silence vert. Mains vertes / De grands arbres penchés, d’arbustes fous ; / Doigts mêlés de rosiers, de lauriers, de bambous, / Pieds de cèdres âgés où se concertent / Les bêtes à Bon Dieu ; rondes alertes / De libellules sur l’eau verte
(…)
Un mot vert… Qui dira la fraîcheur infinie / D’un mot couleur de sève et de source et de l’air / Qui baigne une maison depuis toujours la vôtre, / Un mot désert peut-être et desséché pour d’autres, / Mais pour soi, familier, si proche, tendre, vert / Comme un îlot, un cher îlot dans l’univers ?...

La maîtrise de l’écriture poétique (rimée ou en vers libres) et la richesse, presque la préciosité, du vocabulaire sont d’autant plus remarquables que tous les poèmes furent écrits quand Sabine avait entre 12 et 15 ans. Mais il ne s’agit pas ici de s’extasier devant une sorte de « phénomène » : la valeur des poèmes est réelle, même s’il est impossible, comme quand on lit Anne Franck, d’apprécier l’œuvre en faisant totalement abstraction du très jeune âge de son auteur. Elle écrit des poèmes d’une grande maturité, percevant dans la présence des choses et des êtres l’écho d’une voix qui la pousse à écrire, et d’une grande sensibilité, étonnante pour une très jeune adolescente (à tel point que je crois que certains ont soupçonné, comme plus tard avec Minou Drouet, que les poèmes ne furent pas tous intégralement de sa main) :

Ne parle pas d’absence, toi qui ne sais pas. / Mets seulement ta joue contre la mienne. / As-tu jamais interrogé la porte qui doit s’ouvrir pour le retour / et désespéré… ? / As-tu jamais, au petit jour, songé qu’on pourrait / ne plus se revoir peut-être et imaginé ?... / Serre-moi plus fort. / Nos deux ombres séparées, que deviendraient-elles ?
(…)
La main de ton ami, ferme les doigts sur elle, et serre-la si fort que le sang de ton cœur y batte avec le sien au même rythme.

On pourrait penser que la densité de sa poésie, à la fois grave et poignante, résulte directement de la certitude d’une mort inéluctable et imminente mais ce n’est pas le cas, car son talent poétique s’était déjà manifesté bien avant sa blessure. Néanmoins, la souffrance et la présence de la mort hantent ses derniers poèmes, pétris de douleur comme l’indiquent les titres : « Jours de fièvre », « Douleur je vous déteste », (qui fut écrit en réaction au recueil d'Anna de Noailles : " L'honneur de souffrir "), « Un médecin ? », « Maladie », « Médecins », « Ah ! Laissez-moi crier », etc.

Vous parler

Vous parler ? Non. Je ne peux pas / Je préfère souffrir comme une plante, / Comme l’oiseau qui ne dit rien sur le tilleul. / Ils attendent. C’est bien. Puisqu’ils ne sont pas las / D’attendre, j’attendrai, de cette même attente.

Ils souffrent seuls. On doit apprendre à souffrir seul. / Je ne veux pas d’indifférents prêts à sourire / Ni d’amis gémissants. Que nul ne vienne. /

La plante ne dit rien. L’oiseau se tait. Que dire ? / Cette douleur est seule au monde, quoi qu’on veuille / Elle n’est pas celle des autres, c’est la mienne.

Une feuille a son mal qu’ignore l’autre feuille, / Et le mal de l’oiseau, l’autre oiseau n’en sait rien.

On ne sait pas. On ne sait pas. Qui se ressemble ? / Et se ressemblât-on, qu’importe. Il me convient / De n’entendre ce soir nulle parole vaine.

J’attends – comme le font derrière la fenêtre / Le vieil arbre sans geste et le pinson muet… / Une goutte d’eau pure, un peu de vent, qui sait ? / Qu’attendent-ils ? Nous l’attendrons ensemble. / Le soleil leur a dit qu’il reviendrait, peut-être…