Les Luminaires
de Eleanor Catton

critiqué par ARL, le 21 février 2019
(Montréal - 39 ans)


La note:  étoiles
Les Luminaires
En ouvrant "Les Luminaires", je ne m'attendais certainement pas à une œuvre qui aurait eu sa place sur les tablettes des libraires au 19ième siècle. Eleanor Catton y situe non seulement son histoire, sur l'île du Sud de la Nouvelle-Zélande en pleine ruée vers l'or, mais elle en adopte aussi le style littéraire qui n'est pas sans rappeler Charles Dickens et ses contemporains. Si on m'avait présenté ce livre à froid comme un classique méconnu de cette époque, je me serais probablement fait berner. Ça n'a pas empêché l'écrivaine de remporter le prestigieux Man Booker Prize et un Prix du Gouverneur général pour son travail. Récompenses bien méritées, mais un peu surprenantes dans la mesure où la victoire d'une brique de 1200 pages écrite dans un style du 19ième m'aurait semblé loin d'être assurée.

Il y en a du monde dans ce livre: une quinzaine de protagonistes, d'abord, mais aussi une galerie de personnages secondaires. Le roman s'ouvre d'ailleurs sur une rencontre entre treize hommes qui essaient de démêler de mystérieux événements en mettant en commun leurs informations. Vols, meurtre, trésors cachés, adultère, trahison, tout y est. La même histoire nous sera donc racontée pendant la moitié du roman du point de vue d'une multitude de personnages pour nous permettre de reconstituer ce puzzle qui fait éclater les veines du front. Qui a volé qui, qui a tué qui et pourquoi, qui ment, qui dit vrai... Il faut suivre parce que c'est facile de s'y perdre. À mi-parcours un personnage se lance même dans un récapitulatif visiblement destiné au lecteur.

Ce n'est pas tout: chaque personnage principal correspond à un des signes du zodiaque et Catton le construit en partant des traits de personnalité associés à ce signe. Chaque section du roman débute aussi par des indications sur les phases de la lune et le comportement des personnages se modifie selon les influences lunaires sur le signe dont il est l'archétype. Et si ce n'était pas assez, chaque chapitre est de moitié plus court que le précédent, ce qui crée une sorte d'effet d'éboulement narratif. Crampe au cerveau garantie, surtout pour l'auteur dont le travail formel est colossal.

Le bon côté, c'est qu'on peut tout à fait lire "Les Luminaires" en ignorant complètement tous ces artifices formels qui n'apportent pas grand-chose au récit. Ils donneront sûrement beaucoup de plaisir (ou de cauchemars) aux étudiants en littérature, mais comme "simple" lecteur on peut s'en passer. Reste quand même un excellent "whodunit" aux personnages hauts en couleurs et une intrigue construite de main de maître qui ne perd jamais son rythme... sauf vers la fin, où les chapitres deviennent si courts que Catton écrase son dénouement sur quelques lignes, ce qui m'a pas mal laissé sur ma faim. C'est ce qui arrive quand on s'impose une structure et qu'on en devient prisonnier. Malgré tout, ça demeure une œuvre impressionnante et ambitieuse qui mérite ses honneurs.