Ce livre m’a rendu malade.
Il se présente sous la forme d’un album de photographies où un texte présente des photos légendées. Des familles souriantes, des hommes et des femmes au travail, des parents attendris devant un bébé charmant, des frères et sœurs complices, puis soudain… Des foules d’adultes et d’enfants, valises à la main, étoile jaune cousue main, des gendarmes français aidant des soldats allemands à pointer des noms : direction Drancy… Je regardais ces visages, des petits comme des grands, je lisais, en guise de légende, leurs commentaires sous chaque cliché noir et blanc, leur souffrance, leur désarroi m’atteignaient de plein fouet.
Autre page, autres témoignages. De gosses sauvés de l’horreur par des gens. Pour certains, méprisables, une question demeurera : pourquoi ont-ils eu ce merveilleux geste ? Simplement pour des bras supplémentaires à la ferme, simplement pour mériter un jour leur paradis ? Ou pour obtenir des lauriers au cas où l’Allemagne perdrait quand même cette guerre ? Pour d’autres, plus nombreux heureusement, il s’agissait seulement, à leur niveau, de résister. De s’insurger contre l’inhumanité de l’ennemi. Protéger un, deux, cent, mille gamins d’un assassinat programmé en série. Ces héros de l’ombre, ce sont ces gens ordinaires, qu’un jour, une fois la paix réinstallée, les enfants d’Israël nommeront les Justes.
Catholiques, athées ou autre, oser prendre sous sa protection à l’époque un juif, ne fut-il qu’un enfant, c’était jouer avec la mort. Pour un temps indéterminé ! Leur conscience faisant fi de leurs craintes, ils n’hésitèrent pas une seconde. Brûler les étoiles, changer les prénoms, les patronymes, inventer un passé « aryen », aimer, consoler, rassurer, devenir le papa et la maman de ces parias, il fallait des tripes pour le faire. Si jamais leur secret s’éventrait, le petit mourait, eux aussi et leurs propres enfants. C’était une famille entière qui tenait tête aux allemands…
J’ai pleuré en lisant ces nombreux témoignages, en m’arrêtant sur ces nombreux visages. Et depuis, j’ai un mal de ventre qui revient dès qui j’y pense. Il y a des livres qui vous poursuivent longtemps, celui-ci, avec ses milliers de fantômes, en fait partie.
Pourtant, il faut le lire. Parce qu’il faut savoir. Parce qu’il ne faut pas oublier. Pour que jamais cela ne recommence. De cette façon ou autrement. Car la haine peut se dissimuler sous tellement de traits.
Sarvane - BOURGES - 60 ans - 2 décembre 2004 |