Mémoires I, II
de Simone de Beauvoir

critiqué par Veneziano, le 3 février 2019
(Paris - 46 ans)


La note:  étoiles
Les mémoires d'une philosophe féministe
Simone de Beauvoir, philosophe, enseignante, puis auteure, a écrit une série de récits constituant ses mémoires, regroupés dans un coffret en deux tomes. Je vous livre ce que j'ai pensé de chaque livre.

Les Mémoires d'une jeune fille rangée, critiqué le 27 décembre 2018 ****
Simone de Beauvoir se souvient bien, et avec précision d'avoir vécu des moments heureux dans sa jeunesse et son milieu familial, mais ce dernier l'a fortement corsetée dans un monde pétri de certitudes et dogmes indépassables dont elle a voulu s'ouvrir. C'est ce qui l'a poussée à suivre des études longues, enseigner et forger sa carrière par elle-même. Elle opta pour la philosophie, tenta l'entrée à l'Ecole normale supérieure et lutta contre ses propres forces de conformisme et de pudibonderie dont elle a connu du mal à se défaire.
Ces mémoires de jeunesse lui permettent de retracer, avec moult détails, probablement excessifs, une enfance cossue, mais sans excès de luxe, un entourage certes aimant mais se réduisant souvent à un carcan. Le conservatisme de son père l'a encouragée à évoluer et chercher une voie plus juste. De ce monde à part, daté et désuet, il est donc possible d'en comprendre beaucoup de choses.

La Force de l'âge, critiqué le 1er janvier 2019 ****
Simone de Beauvoir s'assied professionnellement et intellectuellement. Elle enseigne, s'épanouit, et se met donc en concubinage avec Jean-Paul Sartre dans un couple ouvert, y compris au triolisme, notamment avec Olga. Ils connaissent la guerre, l'occupation, les privations, tentent de vivre aisément et de se divertir malgré les circonstances. Sartre fait son service militaire, la conjoncture les éloigne et ne contribue pas à la souder en couple installé, ce qu'ils refuseront toujours, préférant la liberté et la libre conscience, tout en reniant le confort facile. Cette union, tant intellectuelle que physique, se cristallise. Ils discutent de leurs projets littéraires et philosophiques, pour créer entre eux une saine émulation.
Ces mémoires font mieux comprendre le schéma de fonctionnement de cette intellectuelle et de sa conception de la vie privée. C'est intéressant, d'autant que son féminisme s'affirme.

La Force des choses, critiqué le 5 janvier 2019 ***
Simone de Beauvoir livre son expérience de son engagement actif dans le féminisme et l'humanisme de l'ultra-gauche, en compagnie de Sartre, qu'elle accompagne dans ses déplacements, à Cuba et au Brésil, notamment, afin d'accompagner les luttes sociales en présence, de se confronter aux inégalités bien plus fortes encore qu'en France. Les deux intellectuels en couple libre échangent de manière croisée sur leurs projets d'écriture et de publication, sans concession et avec complicité. Cela présente un grand intérêt, comme le fond de leurs engagement. Il reste toutefois navrant, voire choquant, que ces deux philosophes montrent tant d'appréhension envers celles et ceux qui ne partagent pas leurs opinions, attitude qui tend souvent à une forme de sectarisme. Il est vrai qu'ils se placent au temps de la guerre froide et des heures de gloire du Parti communiste français (PCF) dont ils sont proches, mais cela laisse songeur. Le livre reste toutefois porteur d'intérêt.

Une mort très douce, critiqué le 12 janvier 2019 ****
Si les relations de Simone de Beauvoir avec sa mère n'ont jamais été inscrites au beau fixe, en raison de l'impiété de la philosophe et de l'aigre franchise de sa génitrice, les souffrances de cette dernière ont aboli les distances. Cette fille rebelle a voulu se rapprocher d'elle, pour la soutenir lors de ses soins en milieu hospitalier. D'une mauvaise chute à traiter, il a été découvert une tumeur cancéreuse, la patiente n'ayant pas véritablement compris la nature de sa pathologie.
Simone de Beauvoir a voulu rendre un hommage analytique, afin de montrer les qualités et les torts de chacune, de manière distanciée et froide, y compris dans la description des sentiments, par un style sec, dénué de toute fioriture, afin, semble-t-il, de mieux se parer des effets de l'adversité et de mieux témoigner de cette expérience douloureuse. Elle s'avère utile à étudier, afin de de préparer, de prendre conscience des effets de la perte imminente d'un proche. Froid et beau, cet hommage s'avère utile.

Tout compte fait, critiqué le 27 janvier 2019 ***
Ce titre peut paraître paradoxal. Il s'agit bien d'une autobiographie, quelque peu différente des ouvrages similaires qui l'ont précédé, puisque l'auteure retrace l'essentiel de sa carrière, en s'interrogeant sur son degré de maturité et de vieillissement, par des interrogations et comparaisons intéressantes. Elle revient assez longuement sur ses voyages, internes ou internationaux et termine sur son engagement, en faveur du féminisme et de le gauche radicale.
Ce bilan de parcours paraît appréciable, remet en perspective tout le climat et l'évolution de l'époque, de l'entre-deux-guerres aux années 1970. Elle revient sur son militantisme en faveur de l'égalité des sexes et des idées très marquées de Sartre et d'elle-même. Une certaine raideur dogmatique accompagne le propos, comme un regard complaisant envers elle-même, d'où l'emploi du terme égocentré, comme s'il n'était pas possible d'avoir procédé différemment ou mieux qu'elle, avec une pointe de ton d'immodestie présente dans tout le texte. Aussi ne reste-t-elle pas si claire sur le recours à la violence. Elle prétend être sensible à la lutte des classes. Jusqu'à quel point de radicalité ? Ce n'est pas si évident. Ces travers écornent les qualités et l'intérêt de l'écrit, qui reste un témoignage utile.

La Cérémonie des adieux, critiqué le 3 février 2019 ****
Dans ce dernier récit de ses mémoires, Simone de Beauvoir relate les dernières années de Sartre. Elle assiste impuissante à son déclin physique, sa baisse d'activité générale, malgré le plaisir qu'il continue à prendre dans ses engagements, prises de positions et conférences. Elle l'accompagne tant bien que mal, en lui minimisant l'évolution de son état, qui ne l'empêche pas de beaucoup boire, fumer et de continuer à vouloir séduire de jeunes femmes. La presse commence à se rendre compte de quelque chose et commence à inspecter.
Ce récit court est retracé, comme à l'habitude de l'auteure, d'un style sec, qui prend ici des allures quasi-cliniques, dans tous les sens du terme ; cela ne l'empêche pas toutefois de faire état de son désarroi, par des formules laconiques, récurrentes chez elles, voire lapidaires, mais au moins les choses restent-elles claires. Cet hommage, distancié pour mieux en rendre compte, reste sensible, d'autant que la philosophe n'a pas cru bon filer ses mémoires au-delà de la disparition de son célèbre compagnon, qui ponctue cette série d'écrits. Il paraît donc important à plusieurs titres.