Ca raconte Sarah
de Pauline Delabroy-Allard

critiqué par Krys, le 17 janvier 2019
(France-Suisse - - ans)


La note:  étoiles
Passion
C'est l'histoire d'une passion, d'un amour fou qui emporte les amoureux dans leurs recoins jamais explorés. Elle (la narratrice) raconte Sarah, rencontrée par hasard au détour d'un dîner, et qui deviendra Passion. Passion dévorante, passion-noyade.
Ce premier roman de Pauline Delabroy-Allard est réussi.

J'ai vraiment aimé : l'écriture, fluide et très belle
le rythme du livre, composé de 30 courts chapitres qui rendent la lecture dynamique
la précision des sentiments décrits
le thème de la musique de chambre très présent, car Sarah est violoniste
J'ai moins aimé : la deuxième partie du roman, qui est un peu plus lente que la première
la fin, que j'imaginais autre

Citation :
"Alors, c'est comme ça ? La vie peut s'arrêter, l'amour peut mourir, et ce monde peut continuer, juste à côté, dans le même temps, dans le même espace, à étinceler de beauté ?"
Maniéré, surfait et creux 3 étoiles

Dieu qu’il est périlleux de se lancer dans le récit d’une passion amoureuse. Et Dieu qu’il est difficile de se trouver un style quand on n’en a pas. « Ça raconte Sarah » m’a fait grincer des dents d’un bout à l’autre (même si la deuxième partie est un peu plus supportable que la première). Pour ce qui est du contenu : la passion et ses dévastations, on l’a déjà lu, vu… Il est donc très difficile de dire quelque chose de neuf après les grands prédécesseurs.
La littérature n’est faite que de redites, de variations sur un même thème, me direz-vous. Soit, mais quand la banalité du contenu est relayée par la pauvreté du style, la lectrice que je suis désespère. Ce n’est pas que l’auteur n’ait pas voulu produire des effets (comme en témoigne le titre qui, par son jeu de sonorités, est censé provoquer l’admiration : ben voui, la fameuse Sarah est musicienne, alors en avant la musique !) Mais il faut croire que le fin mot de la musicalité et du style tient dans le trio qui tue : phrases nominales, énumérations et anaphores, que viennent compléter la répétition des mêmes phrases vaguement modulées à quelques pages d’intervalle.
C’est insupportable de maniérisme et de vacuité. À croire que la langue française a produit tout un arsenal de conjonctions et de structures grammaticales variées pour rien, puisqu’il suffit de poser les mêmes trucs les uns à côtés des autres pour faire la blague. Et je ne parle même pas du procédé mille fois vu et revu qui consiste à citer des définitions du dictionnaire ou des pages Wikipédia…
Bref, j’arrête là, simplement pour conclure que l’engouement suscité par ce texte surfait me laisse pantoise.

Reginalda - lyon - 57 ans - 7 août 2019


Eros et Thanatos 9 étoiles

Le mois dernier, l’une de mes lectures fut Carmilla, roman de l’écrivain irlandais Joseph Sheridan Le Fanu paru pour la première fois en 1872. Bien sûr, comme beaucoup de lecteurs de ce roman appartenant à la veine gothique et racontant une histoire de vampire, j’ai été impressionné non pas tant par l’aspect horrifique du récit que par son sous-texte puissamment érotique. Or, ce dont il s’agit, ce n’est rien moins qu’une histoire de passion lesbienne. Laura, la jeune ingénue du livre, qui accueille chez elle, avec la bénédiction de son père, une mystérieuse voyageuse prénommée Carmilla ne tarde pas à tomber sous le charme de sa beauté. Les mots employés par l’écrivain, même s’ils ne décrivent pas explicitement les plaisirs charnels, ne laissent planer aucun doute. Laura est amoureuse de Carmilla, d’un amour qui, du fait qu’elle a affaire à une vampire, est porteur de mort. Eros et Thanatos, une fois de plus, sont indissociables.
Tout cette thématique est également présente dans Ça raconte Sarah, le superbe roman de Pauline Delabroy-Allard, sorti en librairie aux éditions de Minuit il y a presque un an et dont je viens d’achever la lecture. L’aspect fantastique, gothique, en moins, la romancière ne raconte pas autre chose que ce dont il était déjà question dans Carmilla. L’érotisme et la mort, chez Pauline Delabroy-Allard, se donnent également la main, bien évidemment, et, même s’il n’est plus question de vampire à proprement parler, le récit, comme toujours quand il s’agit de passion amoureuse, conserve quelque chose de l’ordre d’une vampirisation. Cela pourrait être décevant puisque cela a déjà été raconté bien des fois, on pourrait se dire qu’on a déjà lu ça, que ce n’est guère nouveau, mais il n’en est rien. D’abord parce qu’aujourd’hui on peut raconter une histoire de passion amoureuse entre deux femmes de manière beaucoup plus explicite qu’à l’époque de Sheridan Le Fanu. On n’est pas obligé de prendre des détours. Les mots et les phrases dont use Pauline Delabroy-Allard sont donc parfois très crus, très directs, et c’est bien. Mais l’écriture de la romancière se pare de bien plus de nuances et se dote de bien davantage de qualités que celles de la simple description clinique des faits.
Tout en s’autorisant régulièrement de curieuses pauses lexicales, prenant le temps d’expliciter un terme ou de donner des informations concernant une œuvre, Pauline Delabroy-Allard raconte à merveille les bonheurs et les affres d’une passion amoureuse. « Elle me hante, dit la narratrice de l’ouvrage à propos de Sarah, nue, sublime, un fantôme qui fait gonfler mes veines, larmoyer mon sexe. » Et plus loin : « Elle ne se rend pas compte que plus rien d’autre ne m’intéresse que les moments passés avec elle, que je me sens déprimée, que je n’aime plus mon travail, que je me fais arrêter par mon médecin dès que je le peux. » La voilà, la vampirisation. Plus rien ne compte que l’être aimé. Même la fille de la narratrice n’est désignée que comme « l’enfant », c’est à peine si elle est mentionnée. Alors que Sarah, elle, la narratrice l’écrit et le répète, vit et se comporte précisément comme une enfant. Une enfant qui donne de la joie et qui fait souffrir, pour employer les deux mots que François Truffaut mettait dans la bouche de Belmondo à la fin de La Sirène du Mississippi.
Le roman de Pauline Delabroy-Allard comporte deux parties distinctes, l’une étant consacrée à la passion dévorante qui unit dans la tourmente la narratrice et Sarah, l’autre se déroulant en Italie, à Milan et à Trieste, où s’est enfuie et réfugiée la narratrice, à la suite d’un événement dont je laisse la surprise aux futurs lecteurs du roman. Perdue, déboussolée, la narratrice se demande ce qui s’est passé entre elle et Sarah, sans pouvoir donner une réponse précise. Disons simplement que, comme toujours dans les histoires de passion amoureuse, Thanatos est venu semer le trouble du côté d’Eros.
Il y donc, bel et bien, une narratrice dans ce roman et pourtant le titre se contente d’un énigmatique ça. Ça raconte Sarah. Impossible de ne pas s’interroger à propos de ce ça. Sans aucunement prétendre en supprimer l’ambiguïté, j’ose suggérer qu’on peut y mettre, entre autres choses, la musique. Car, il faut le préciser, Sarah est musicienne, elle est membre d’un quatuor et, de ce fait, contrainte à de nombreux déplacements, ce qui oblige, à son tour, dans la première partie du livre, la narratrice à effectuer beaucoup de voyages pour rejoindre sa bien-aimée. Toujours est-il que la musique étant omniprésente dans l’ouvrage, c’est elle qui, d’une certaine façon, raconte Sarah, me semble-t-il. Le premier trio de Brahms, l’octuor de Mendelssohn, le quatuor La Truite de Schubert et, surtout, le quatuor La Jeune Fille et la Mort du même Schubert à la fin du roman. Le grand compositeur viennois, lui aussi, dans cette œuvre sublime et déchirante, avait convoqué l’insatiable présence de Thanatos.

Poet75 - Paris - 67 ans - 5 août 2019