A chaos, chaos et demi
de Carine-Laure Desguin

critiqué par Débézed, le 14 janvier 2019
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
La poésie pour recours
Dans une lumineuse préface Eric Allard guide le lecteur dans les méandres dessinés par Carine-Laure Desguins sur le sable des cinquante mini textes qu’elle a rassemblés dans ce recueil. Des textes où tout a explosé, les mots sont dispersés, ils ont perdu la place qui aurait dû être la leur, les phrases n’ont plus de sens, il ne reste que le chaos et la poésie. Mais, le chaos n’a pas pu faire taire la musique, n’a pas su casser la métrique et le rythme de ces textes qui ne disent plus ce qu’ils devraient mais qui l’expriment magnifiquement à travers la magie de la poésie.

Eric Allard introduit ce recueil avec ces mots : « Au fil de ces 50 récits-visions, Carine-Laure Desguin bouscule la langue, fait éclater la structure de la phrase traditionnelle et dissémine le sens pour dégager la fleur de la poésie des mauvaises herbes d’usage commun, extraire le diable de l’image de la boîte aux Lettres fourre-tout. »

Dans ses poésies, Carine-laure Desguin décrit un monde cataclysmique où les corps explosés ont été disséminés, libérant leurs entrailles et leurs humeurs, où les mathématiques et la géométrie ne servent plus à rien, même si elles sont souvent sollicitées, et s’égarent dans le néant sidéral. Dans ce chaos en marche, l’auteure met en parallèle la destruction des corps et des mots, les entrailles se vident de leurs humeurs comme les phrases se vident de leurs mots. Comme si la destruction du langage pouvait impliquer la destruction de la vie.

Pour dépeindre ce cataclysme final Carine-laure Desguins appelle la poésie à la rescousse, dénonçant la faillite des mathématiques qu’elle évoque dans de nombreux passages comme si elles étaient un des fondamentaux de notre monde actuel qui court à sa perte, comme si elles n’avaient pas su préserver notre monde de sa faillite fatidique. L’auteure connait bien la médecine et l’anatomie, elle évoque souvent la géographie des corps en décomposition, notamment les organes génitaux qui ne pourront plus reproduire, à l’image des glandes de Bartholin condamnant par leur sclérose les ventres à la sécheresse.

Si on peut décrypter le message de l’auteure, il y a urgence, le chaos est en marche, seule la poésie pourrait sauver la planète, car elle possède toujours le sens de l’harmonie qui est peut-être à l’origine de l’univers. Et l’auteure en use abondamment dans de nombreuses allitérations et assonances comme celle-ci que j’ai notée au hasard de ma lecture : « Saigner et saigner en corps, à cor et à cris, … ».

Au-delà de mes interprétations ce recueil est avant tout un plaisir de lecture où il faut laisser les mots jouer leur musique sans leur prêter une quelconque intention.