Ce quatrième volet est clairement en rupture avec les tomes précédents, se caractérisant par une montée en puissance notable du récit. Riad a 10 ans et n’est plus trop sûr d’avoir conservé le physique angélique des débuts… « Maigre et fluet », avec une « tête trop gosse par rapport au corps », il s’apprête à entrer dans l’adolescence, l’âge des complexes et des éruptions acnéiques, et se découvrira même un « crâne d’œuf » lorsqu’il ressortira de chez le coiffeur, à qui il avait demandé de lui faire une coupe à la « Tom Cruise »… sans parler d’un drôle de tic qui ne lui arrange pas le portrait…
Bref, les choses ont changé et pas pour le meilleur. Sa mère, qui ne s’est jamais vraiment habituée à vivre en Syrie, est repartie avec les enfants en Bretagne, où elle espère pouvoir décrocher un job. Son mari Abdel, toujours un peu mythomane, a été embauché comme maître de conférences à l’université de Riyad, en Arabie Saoudite. Toujours aussi près de ses sous malgré un salaire qu’il prétend mirobolant, il n’en envoie qu’une petite partie à son épouse, ce qui lui suffit à peine pour joindre les deux bouts. Le reste, il le place à Jersey…
Au fil des mois, les relations avec ce père à la fois absent et envahissant lorsqu’il débarque à l’improviste une fois par an se distendent, et Riad ne s’en plaint pas. En effet à chaque visite, il devient plus moralisateur et ne manque pas de faire la leçon à son fils. S’étant découvert un regain d’intérêt pour l’Islam, il est devenu paradoxalement plus raciste et semble vouer une haine de plus en plus farouche à la France. Cette radicalisation se manifestera lors d’un nouveau séjour en famille en Syrie, où il se livrera à un acte impulsif et violent à l’encontre de sa femme, provoquant une nouvelle fissure de taille dans son couple… jusqu’au dénouement final proprement hallucinant, où l’on voit Abdel revenir en Bretagne (toujours à l’improviste, au grand dam de sa femme) avec les meilleures intentions du monde, résolu à revenir vivre en France pour y travailler… du moins en apparence. Mais on ne dévoilera rien au risque de « divulgâcher », pour reprendre une expression favorite de l’auteur !
Une fois refermé le livre, l’addiction à cette fabuleuse série est totale. ON DOIT ABSOLUMENT EN CONNAÎTRE LA SUITE ! Riad Sattouf nous a totalement mis sous l’emprise de ce récit hors-normes, non seulement grâce à son talent de narrateur qui lui a fait transformer son histoire personnelle, certes pas des plus simples mais pas non plus héroïque, en saga universelle. Et puis, Riad, on finit par l’apprécier comme un frère au fil des pages, tant il se livre avec une franchise et une transparence rare, tant par rapport aux autres qu’à lui-même, avec toujours ce sens de l’observation et cet humour particulier, qui finalement ne fait que nous renvoyer à nous-mêmes avec nos travers. De plus, il se permet d’aller sur des terrains où peu oseraient s’aventurer, notamment par les constats tout en objectivité qu’il pose sur les mœurs des sociétés françaises et syriennes (et arabes en général), pas toujours des plus glorieux, un atout que lui permet clairement sa double culture. A ce stade, c’est sans doute ce que l’on pourrait retenir de « L’Arabe du futur », à savoir que la mixité implique toujours un enrichissement, et qu’elle seule, en l’occurrence ici par le truchement de cet auteur, est capable de produire de tels joyaux, nous invitant à accroître notre capacité à l’empathie et notre compréhension de l’altérité.
Blue Boy - Saint-Denis - - ans - 14 août 2024 |