La joie
de Charles Pépin

critiqué par Bluewitch, le 30 décembre 2018
(Charleroi - 45 ans)


La note:  étoiles
La joie de l'étranger
Charles Pépin est philosophe et a plus d’essais à son actif que de romans. « La joie » est son troisième. Un récit qui percute, dérange et questionne. Pépin évoque, dans une interview de l’Express, le livre qui a changé sa vie : « L’étranger » d’Albert Camus. Ce roman-ci en est directement inspiré.

Solaro, en effet, le « héros » de notre histoire, rappelle – en plus attachant – le Meursault de Camus. Il est plus solaire (et porte bien son nom), il incarne le détachement absolu et accueille l’instant présent dans ce qu’il a de plus extrême. L’ici et maintenant est tout ce qui compte. A travers lui, Pépin explore ce concept au-delà de toutes les règles morales et sociales.

L'histoire démarre sur une visite de Solaro à sa mère, mourante. Sur la route cependant, il s’émerveille : de la chaleur du soleil sur son bras, des feux qui passent tous au vert, de la place de parking qui l’attend toujours au même endroit, comme par magie, de cette petite fleur violette qui pousse dans un endroit improbable… et de ce ciel qui se dégage, il en est certain. Même si la vie de sa mère se compte encore en jours, ce qui importe pour lui, c’est comment elle va, maintenant. Comment amener la joie en phase terminale.

Solaro voit le positif du détail, la joie partout où elle se niche, même dans les mornes couloirs de l’hôpital. Même dans cet immense soulagement des larmes lorsqu’il se fait tabasser sur un parking par une bande de banlieue. Même dans son amitié avec Ange, peu recommandable aux yeux du monde, mais chez qui il voit le bon côté seulement. Il ne s’attarde pas sur la désolation de sa petite entreprise en faillite. Il vit sans trop calculer. Il suit ses impulsions. Et puis il y a Louise, la femme qui l’aime, et qu’il aime aussi, mais dans les moments qu’ils partagent. Le sexe intense et les plaisirs aussi. Les projets n’ont pas vraiment de sens pour lui.

Vient alors le basculement, ce moment fatal où l’instantanéité génère des conséquences : une conjoncture de circonstances et voilà que Solaro tue Rédoine (un « arabe », comme dans « L’Etranger »), le chef de la bande l’ayant laissé en bouillie sur le sol en béton. Solaro est arrêté et accusé. Mais au-delà du meurtre, le vrai procès commence : celui envers sa marginalité et son attitude incompréhensible de détachement quant à ses actes. Il ne nie rien. Il s’extrait pourtant des jalons habituels de la culpabilité. Peu à peu, la distance entre lui et les accords du monde extérieur augmente. Pourtant, il décortique à sa façon la justice des hommes. Ses préjugés, ses interprétations, ses ambivalences. Il prône l’authenticité. Il questionne le manichéisme. Evidemment, rien dans son comportement ne joue en sa faveur. Ni ses réponses au tribunal, ni ses moments d’absences : ces bulles d’émerveillement face au détail soudain qui, lorsqu’on lui demandera « Comment vous sentez-vous, maintenant ? », l’amèneront à répondre « bien ». Mais qui peut se sentir bien alors qu’il est sur le banc des accusés pour un tel crime ?

« C’est précisément cette acceptation, j’aurais presque envie de dire cette acceptation heureuse, qui est le plus inacceptable. C’est elle, plus encore que la violence, qui constitue une menace, une menace infinie pour la société, pour l’ordre et pour la paix civile. Car la violence, on peut la combattre, on peut la canaliser, on peut essayer de l’empêcher. Mais contre cela, on ne peut rien faire. »

La narration à la première personne fait de nous le confident de Solaro, et nous renvoie plus intimement à toutes les émotions suscitées par sa perception de l’existence. Violente sagesse, certes, mais finalement inspirante. Solaro est un intégriste de la Joie, ce qui le mène à la tragédie. Mais peut-être faut-il cette métaphore, cet extrême symbolique pour nous rappeler combien, parfois, nous sommes endormis. Combien nos choix et notre rapport aux expériences sont conditionnés par une standardisation faussée de la pensée. Bien plus proche de nous que ne l’était le Meursault de Camus, il nous révèle autant qu’il se révèle lui-même. Si Solaro s’aliène la société, en nous emmenant dans ses réflexions il vient, au passage, troubler les nôtres. Là où je me souviens avoir observé Meursault avec distance, j’ai écouté Solaro dans un perpétuel conflit interne. Et j’ai apprécié cette expérience plus philosophique que littéraire.
Les gens heureux sont dangereux 8 étoiles

Monsieur Solaro mène une vie banale avec son lot d’épreuves.
Mais lui n’est pas un homme banal ! Systématiquement, il trouve le positif de chaque instant, il trouve de quoi se réjouir dans chaque situation.
Alors que sa maman atteinte d’un cancer vit ses derniers jours, que père et frère sont effondrés, lui demande "Aujourd’hui, comment elle va ?"
Quand suite à une mauvaise rencontre il est passé à tabac, "je pleure et ça fait un bien fou".

Un comportement qui n’est pas normal. Un homme ne peut vivre comme ça, il peut paraître au mieux bizarre, au pire insensible, voire handicapé des sentiments.
Tous les médecins ou psychologues qu’il croisera, n’arriveront pas à comprendre.

On entame la lecture avec le sentiment d’un feel-good-book, un court et gentil roman au héros constamment heureux.
On pense aux principes de méditation de pleine conscience appliqués à la perfection.
"Je lui dis que c’est le réel qui compte, c’est lui et lui seul qui peut nous rendre heureux…. l’espoir est un poison qui nous enlève la force d’aimer."

Mais les deuxième et troisième parties sont édifiantes sur ce qu’on attend d’un homme, sur les codes de la normalité dans la société, sur le sort réservé à ceux qui dérangent.

Un court roman qui sous son allure légère, interpelle et questionne le lecteur .
Merci à Bluewitch d’avoir apporté ce livre.

Marvic - Normandie - 66 ans - 24 juin 2019