Tokyo Vice
de Jake Adelstein

critiqué par ARL, le 28 décembre 2018
(Montréal - 39 ans)


La note:  étoiles
Le James Bond des journalistes japonais
Jake Adelstein s'est fait embaucher au Yomiuri Shinbun, l'un des plus grands journaux japonais, à l'âge vénérable de 24 ans. Ce n'est pas une mince affaire, d'autant plus qu'aucun étranger n'avait jusqu'à présent réussi cet exploit. Adelstein ne manque pas de le souligner à gros traits dans "Tokyo Vice", compte-rendu sans doute romancé de ses années de journaliste criminel au Japon. Ce livre n'est pas inintéressant; on en apprend beaucoup sur les milieux sordides de Tokyo, sur les yakuzas, sur la corruption policière, sur la traite des blanches dans les bars d’hôtesses, mais aussi sur les us et coutumes du pays du Soleil-Levant. Adelstein n'a pas peur des détails scabreux, mais il ne s'y complait pas, livrant juste ce qu'il faut d'information pour que le lecteur puisse se faire un juste portrait des choses.

Le gros problème avec "Tokyo Vice", c'est le manque d'humilité de son auteur. Adelstein a tendance à se présenter comme un tombeur qui doit sans cesse repousser les avances des femmes, comme un défenseur de la veuve et de l'orphelin, comme un combattant féroce et comme un journaliste de génie. À plusieurs reprises, les dialogues semblent servir à rapporter les compliments qu'on lui prodigue plus qu'à toute autre chose, et toujours sous le couvert d'une modestie factice (du genre "Adelstein, tu es vraiment un connard, mais tu es le meilleur journaliste que j'aie jamais rencontré"). Je ne peux l'accuser de mentir, mais son récit transpire l'embellissement. On a plus l'impression de lire un roman que les mémoires d'un journaliste, et l'omniprésence de dialogues n'aide en rien. Le sujet est intéressant, certains chapitres nous tiennent en haleine, mais il est difficile de ne pas être agacé par cet auteur qui passe son temps à se porter au pinacle.
Plus fort que le wasabi ! 9 étoiles

Il y a un petit temps que l’on ne peut plus parler de face cachée du Japon, notamment depuis les attentats au sarin dans le métro de Tokyo et les révélations qui s’en sont suivies fin des années nonante. Disons que la société polie, propre sur elle et disciplinée que l’on se représente généralement recèle une face sombre que « Tokyo Vice » contribue magistralement à éclairer.

L’auteur y raconte sa propre expérience de journaliste au pays du soleil levant dans un récit dont il est le seul à pouvoir dire à quel point il est romancé. A seulement 24 ans il réussit à sa grande surprise un concours qui inclut une connaissance suffisante du Japonais et qui lui permet de décrocher un emploi au Yomiuri Shinbun , le quotidien le plus lu…. au monde ! C’est le premier « gaishin » à réussir cette performance et c’est peu dire que l’arrivée d’un étranger suscite méfiance et circonspection, quand ce n’est pas une franche opposition parmi ses collègues.

Il se fait la main sur des affaires mineures ce qui l’aide à mieux comprendre les subtilités de la société nippone. Travaillant d’une manière différente de « l’école japonaise », ses pairs ne tardent pas à lui reconnaître l’instinct d’être toujours au bon endroit, là où l’info et futur scoop adviendra, notamment grâce à sa faculté à se faire les bons contacts avec confrères, police ou gens du terrain.

Il monte d’un cran en rejoignant le service presse de la police pour s’occuper des homicides, suicides et disparitions qui lui servira de tremplin vers la brigade des mœurs et le crime organisé. Il se rendra vite compte qu’en titillant les yakuzas, il mettra sa propre sécurité et celle de sa famille en danger. Qu’importe, celle-ci est mise sous protection aux Etat-Unis pendant qu’il fréquente les cabarets louches et les endroits les plus gores de la capitale. Il découvrira un trafic de jeunes femmes venues gagner de l’argent facile en tant qu’ « hôtesses » prises au piège du chantage et de l’escroquerie. Son article est prêt. Encore faut-il trouver le media qui acceptera de le publier. Côté mafia, on lui fait comprendre que si l’article n’est pas supprimé…. c’est lui qui le sera.
J’ai vu dans ce livre passionnant une sorte de croisement entre le « Stupeurs et tremblements » d’Amélie Nothomb pour la description de la mentalité japonaise, notamment dans la sphère professionnelle et le « Gomorra » de Roberto Saviano pour la partie mafieuse.

Un livre fort. Très fort !

Millepages - Bruxelles - 65 ans - 9 juillet 2024