Dans ce troisième tome de ses œuvres complètes, Raymond Carver parle essentiellement du couple et bien évidemment plus de couples à la dérive que de gens sans histoires parce que sans rêves. Une fois refermé le livre, on se souvient moins de telle ou telle péripétie que de l’atmosphère qu’il décrit. On a oublié telle ou telle nouvelle mais pas sa chute brutale, sèche, sans concession. Les couples que nous croisons sont toujours sous tension, voire au bord de l’explosion, de la crise qui remet tout en cause, même si après tout apparemment restera inchangé. L’amour entre ces femmes et ses hommes est plus une fragilité qu’une force.
Extrait de dialogue :
-Qu’est ce que tu veux mon pauvre bébé ?dit-elle.
- Je veux juste que tu me prennes dans tes bras, dit-il. Viens là.
Assieds-toi. Pas besoin de rouge à lèvres, dit-il en l’attirant sur ses genoux. Tiens moi, dit-il. Tiens moi, je tombe.
En lisant ces nouvelles, on pense aussi au très beau film de John Cassavetes « Femme sous influence » avec la magnifique Gena Rowlands.
Carver, bien avant les autres, raconte l’Amérique trompée par le rêve américain, cette Amérique aux banlieues rouillées par la désindustrialisation, trahie par les sub-primes (mot qu’il ne pouvait connaître puisque mort en 1988 mais dont il pressentait l’illusion dramatique), glissant vers la prolétarisation et l’échec.
La force de ce livre tient moins aux histoires individuelles qu’il raconte qu’à la cohérence de ces récits, au style nerveux, sans explications psychologiques mais où affleure une forme de compassion. Il donne à voir mais les mots choisis, la façon de les assembler laissent sourdre une humanité qui refuse de juger. Ces femmes et ces hommes qui se débattent avec leur quotidien, souvent médiocre, mêlent leurs sentiments de révolte et de désespoir à une grande tendresse qui parfois les laisse « émerveillés par d’impossibles changements ».
Un très bon recueil de nouvelles dont la lecture confirme que Raymond Carver était un grand écrivain.
Jlc - - 81 ans - 9 décembre 2010 |