Une jeunesse de Marcel Proust
de Évelyne Bloch-Dano

critiqué par Cédelor, le 1 novembre 2018
(Paris - 52 ans)


La note:  étoiles
un voyage au temps de la jeunesse de Marcel Proust, des plus instructifs et plaisants
Voici un livre que je n’avais pas prévu de lire, que j’ignorais même qu’il fut sorti ! Un comble pour un laudateur de Proust comme moi Mais voilà, ma femme et ma fille, connaissant mon admiration pour le grand Marcel, l’ont acheté dans une librairie et me l’ont offert ! Voilà une véritable et délicate attention ! Je ne pouvais donc que me sentir doublement engagé à le lire ! Ce qui fut fait et bien fait !

Et quand, ensuite, je suis venu sur CL pour en lire les critiques, je fus étonné de constater qu’il n’y en avait aucune ! Alors, voici la critique principale de ce livre qui m’a beaucoup plu : Une jeunesse de Marcel Proust », de Evelyne Bloch-Dano, une auteure que j’ai découvert par la même occasion.

Evelyne Bloch-Dano a choisi d’aborder le sujet à partir du questionnaire connu de « questionnaire de Marcel Proust », dont on croit généralement qu’il en fut l’auteur. Je n’étais pas certain de le croire mais ignorait ce qu’il en était vraiment. L’auteure apporte à cette question une réponse claire et argumentée : non, Marcel Proust n’en est pas l’auteur.

Ce questionnaire existait avant Marcel Proust et les questions ont varié au fil du temps. Il a pris le nom de « questionnaire de Marcel Proust » parce que ce questionnaire était connu comme étant celui où Marcel Proust avait répondu, et par un raccourci singulier, est devenu questionnaire DE Marcel Proust, le faisant passer communément pour l’auteur dudit questionnaire… On mesure ainsi à quel point on peut avoir le cerveau farci de contre-vérités et de connaissances erronées.

Revenons à Marcel et à ce questionnaire. Evelyne Bloch-Dano en a fait le point de départ de son livre et l’heureux prétexte pour nous parler de Marcel jeune, de sa famille, de ses amis et amies, plus largement de la société dans laquelle il a grandi et vécu, celle d’une certaine bourgeoisie parvenue et élitiste des années 1880 – 1890. En somme, un voyage au temps de la jeunesse de Marcel Proust, des plus instructifs et plaisants.

Elle commence par nous parler des jeunes amis et amies qui ont répondu au questionnaire en même temps que Marcel. Elle les a identifiés pour la plupart, a commenté leurs réponses au questionnaire, a raconté leur histoire. De là elle a élargi à leur famille, à leurs relations, dont celles de Marcel et de la famille de Marcel, et donc de la société qu’ils formaient tous ensemble, dont le plus illustre alors, fut Félix Faure, qui finira président de la République. En termes d’illustration, Marcel l’aura depuis dépassé !

Et justement, en dévidant cette pelote de laine, de fil en aiguille, on arrive à Marcel lui-même, au temps où il était au collège, nous dévoilant une partie de la personnalité en devenir du futur génie, un Marcel jeune et méconnu, bien avant qu’il en arrive à cette image d’Epinal de l’écrivain maladif retranché dans sa chambre, uniquement consacré à son œuvre jusqu’à la mort.

Le tout est vraiment passionnant et instructif, à recommander évidemment à tous les amoureux du grand Marcel, mais pas que, à toutes les personnes simplement et heureusement intéressées à découvrir ce qu’a été Marcel Proust et le monde dans lequel il a grandi et s’est formé. De quoi peut-être donner envie de commencer la lecture de son œuvre phare, pour laquelle il est mondialement célèbre : « A la recherche du temps perdu », qui sait !
« Un garçon à part » 8 étoiles

Comme le laisse supposer son titre, cette biographie, tout à fait atypique, brosse davantage un portrait de la jeunesse à l’époque de Proust, que celle du jeune Marcel lui-même, dont l’auteure cherche néanmoins ici à déceler l’originalité par rapport aux autres jeunes-gens et jeunes-filles de son temps.
C’est là une méthode d’approche indirecte, déjà utilisée avec « Madame Proust » (cf critique sur le présent site) qui, le précise Evelyne Bloch-Dano elle-même à la page 25 du présent ouvrage, « faisait un détour par la mère pour essayer de mieux capter la personnalité du fils ».

Elle réitère ici, sous un angle encore plus original, en décryptant minutieusement les réponses apportées par quelques adolescents de cette époque, proches du grand auteur, dans l’album d’Antoinette Faure, d’une part, et les « Confidences de Salon » d’autre part, que l’on a qualifiés à tort de « questionnaire de Proust », puisqu’il n’en est pas l’auteur, mais y a seulement apporté sa participation.

Au total, une « photographie mentale des jeunes-filles en fleurs de la Belle Epoque et de leurs camarades parmi lesquels un certain Marcel Proust » (p.99) analysée sous trois angles : la personnalité, les goûts et la culture. L’intégralité des réponses de Marcel Proust à ces deux questionnaires est reproduite, le premier au début du livre et le second à la fin, sa contribution datant respectivement de ses 16 ans et de ses 23 ans.

Ses réponses se rapprochent d'ailleurs plus de celles des jeunes-filles, que de celles des jeunes-gens, ce qui fit dire à Robert Dreyfus, un de ses amis d’enfance : « C’est un garçon à part » . Une spécificité qui demeura bien au-delà de l’adolescence puisqu’à la question portant sur l’idée du malheur, il répondit successivement « Etre séparé de Maman » et sept ans plus tard, « Ne pas avoir connu ma mère ni ma grand-mère »...

Une mine de renseignements et d’anecdotes à découvrir sur le plan sociologique et même politique, la famille des Faure dont Félix, le père d’Antoinette, fut élu Président de la République en 1895, occupant une très large place dans cet ouvrage dont le sous-titre, très révélateur, est « Enquête sur le questionnaire »

Isis - Chaville - 79 ans - 1 avril 2022