Leurs enfants après eux
de Nicolas Mathieu

critiqué par Mimi62, le 16 octobre 2018
(Plaisance-du-Touch (31) - 71 ans)


La note:  étoiles
Tranche de vie
La fin de l'activité sidérurgique en Lorraine a plongé la région dans une léthargie létale.
Toute une génération après avoir travaillé près des laminoirs a été avalée par cette machine, a vécu une tourmente particulièrement violente, et une autre génération a vécu dans cette atmosphère, imprégnée de ce désabusement mais poussée par les rêves de leur jeunesse.
Le roman évoque avec beaucoup de touches sensibles, subtiles, précises, les espoirs et les désillusions de chacun, la résignation de presque tous.

Ce n'est ni profondément noir, ni utopique, ni désespéré, ni désespérément idéaliste, ni désabusé.
Il ne se passe pas grand chose et pourtant la lecture se déroule sans lassitude. On ne ressent pas d'ennui ni dans le déroulement de la vie de chacun ni en tournant les pages.
Ce n'est pas un livre prenant, passionnant, et pourtant on enchaîne les chapitres naturellement.

Un récit qui m'a évoqué les souvenirs lointains du "Voleur de bicyclette", une tranche de vie dans un monde auquel on n'aspire pas à vivre et pourtant plein de vie, un monde que j'ai imaginé sans couleurs. Des souvenirs lointains donc peut-être faussés par le temps mais résultats d'une infusion lente dont j'ai gardé l'essentiel, le condensé et certainement ce que l'âge que j'avais alors, a filtré, un âge voisin d'une partie des personnages principaux.

Un roman que je n'ai pas envie de relire mais que j'ai aimé lire. Un roman qui ne m'a pas avalé mais dans lequel je suis entré sans peine.

Une mention particulière à la qualité de l'écriture qui participe totalement à l'agrément de la lecture.

Difficile de noter ce livre qui a fait partie des quinze titres retenus pour le Goncourt 2018.
Difficile de s'enflammer pour cet ouvrage, difficile de le rejeter, difficile de rester indifférent à ses personnages, difficile de s'attacher à eux.
Difficile sous beaucoup d'angles mais facile à lire, incitant à une cohabitation agréable.
Difficile de dire que l'on est ici dans la littérature car ce serait dévaloriser d'autres romans de valeur qui n'ont pas cette étiquette. Difficile de ne pas l'intégrer dans la littérature en raison de sa qualité d'écriture.
Un ouvrage qui ne m'a rien apporté car je connais tout ce monde qu'il évoque, un ouvrage qui ne m'a pas ému tant j'ai déjà croisé ces personnages, un ouvrage qui ne m'a pas surpris car je n'y ai rien découvert, un ouvrage qui ne m'a pas interpelé car ces questions je me les suis déjà bien souvent posées. C'est peut-être là que réside la réussite de cet écrit, on n'y trouve aucune réponse et, en cela, on se trouve rassuré de se sentir moins seul à être désarmé. Paradoxe que cette absence de finalité (concrétisation de ces vies vides) malgré tout source de réconfort en nous associant dans ce constat d'impuissance, nous laissant moins isolé dans notre
désarroi.

Par contre, il me sera facile de me tourner vers d'autres ouvrages de cet auteur.

Faites-vous plaisir, lisez le... et faites part de vos ressentis car j'avoue être très curieux de les lire.
Le titre questionne sur cette fatalité du milieu de naissance 9 étoiles

Bravo Nicolas MATHIEU, quel beau roman, si juste, si émouvant.
Ce roman sociologique permet à tout un chacun de partager le quotidien de jeunes gens durant 4 étés des années 90, dans une petite ville de l’est de la France.

Ichampas - Saint-Gille - 60 ans - 7 novembre 2022


Avis mitigé 5 étoiles

Ce récit - plongée dans les vies entrecroisées d'une génération d'adolescents pendant les années 90, dans une petite ville de Lorraine encore K.O. suite au choc de la désindustrialisation durant la décennie précédente, semblait a priori très séduisant. J'ai un peu peiné pour entrer dans l'histoire, mais petit à petit la trame des personnages s'est mise en place. D'un point de vue sociologique et même historique c'est intéressant, le roman fourmille de références culturelles (musicales, mais aussi relatives aux marques commerciales de l'époque et à la vie de tous les jours) qui lui donnent une sorte d'armature. Les dernières dizaines de pages contiennent des observations empreintes de fatalisme, et souvent très justes. Pour autant je n'ai pas été convaincu par le style de Nicolas Mathieu, et par ailleurs je trouve qu'il manque une "âme" à ce roman, quelque chose qui m'inciterait à le recommander chaleureusement à mon entourage. Dommage.

LesGouttesDuTemps - Paris - 65 ans - 25 août 2022


Goncourt light 3 étoiles

Si Anthony, du haut de ses 14 ans, s'ennuie ferme, moi aussi je me suis demandé ce que je foutais là, dans un récit où l’on décrit le mal-être des jeunes adolescents, qui glandent à longueur de journée, qui ne pensent qu’aux filles ou à programmer des sorties, des beuveries ou des embrouilles.

Ce portrait hyperréaliste d’une époque post-industrielle ne m’a pas séduit, voire m’a étonné dans le mauvais sens du terme pour un prix Goncourt, dès lors qu’il est écrit dans une langue de la rue et des années 90, mais de mon point de vue, cela sonne creux ou faux.

Alors si certains ont été émus, touchés et attachés par ce roman, personnellement je suis passé complètement à côté et ce livre m’est tombé des mains.

Pacmann - Tamise - 59 ans - 4 juin 2022


Petites chroniques d'une génération sacrifiée 9 étoiles

Malgré que ce roman fasse, en poche, la bagatelle de 560 pages, je l'ai lu comme s'il s'était agi d'une nouvelle de Fredric Brown (pour les connaisseurs : une très courte nouvelle, donc). En presque une journée complète, en fait. J'ai vraiment adoré ce roman qui ne semble pas raconter grand chose, à part l'incommensurable ennui d'une génération, dans une région martyrisée (l'Est, la vallée de la Fensch, après l'arrêt des hauts-fourneaux et la montée du chômage), en quatre étés, de 1992 à 1998 (tous les deux ans).
Par certains aspects, ce roman de Nicolas Mathieu (qui a obtenu le Goncourt en 2018) m'a fait penser à du Bret Easton Ellis ("Moins Que Zéro") ou du Irvine Welsh ("Trainspotting") en version française et - surtout - sans le côté trash. Nos héros se cament cependant (pétards, un peu de coke, alcool), baisent parfois, font des conneries, mais c'est quand même sans comparaison avec les personnages des deux romans que je viens de citer. Mais on a cette même description de l'ennui d'une bande de jeunes (et de la morosité d'une région, pour le Irvine Welsh).
Entre Anthony, Hacine, Stéphanie, Vanessa, le cousin d'Anthony dont on ignorera toujours le prénom, les parents d'Anthony ou de Hacine, on est ici avec une galerie de personnages que l'on retrouve, tous les deux ans, légèrement changés, mais n'ayant pas trop évolué. Les quatre parties, toutes titrées d'une chanson mythique de l'époque (Nirvana, Guns'n'Roses, NTM, et pour 1998, Gloria Gaynor, en allusion à la Coupe du Monde de football 98), sont de plus en plus courtes, on le notera. La première est plus une longue introduction dans laquelle l'auteur nous présente tous les personnages. Un petit fait divers sans prétention (le vol d'une moto) va prendre des proportions dantesques qui, six ans plus tard, se feront toujours sentir, le lecteur s'en rendra compte en fermant le livre.
Pour ceux qui, comme moi, ont vécu ces années-là (né en 1982, je n'en avais que 10 en 1992, mais je m'en souviens encore très bien), ce roman, rempli d'allusions culturelles et politiques à ces années, leur rappellera des choses.
Le seul truc à dire pour pinailler : le langage des jeunes : c'est, en gros, celui de ceux de maintenant ("ça va, gros ?", "Grave", "Trop"), mais dans mon souvenir, ces expressions n'étaient pas utilisées par les jeunes. Mais bon, ce n'est pas un détail d'une importance cruciale.
Un roman remarquable, sinon.

Bookivore - MENUCOURT - 42 ans - 21 juillet 2021


Est-on condamné à mener l'existence de nos parents ? 7 étoiles

Nicolas Mathieu raconte l’évolution de cinq adolescents de 1992 à 1998, rythmée par le chômage et l’agonie du monde ouvrier dans l’Est de la France. Anthony, le cousin, Hacine, Steph et Clem, tous ne viennent pas du même milieu social et sont malheureusement vite rattrapés par leurs origines. Clairement, il y a d’un côté ceux qui s’en sortent parce que « bien nés » et de l’autre - la classe populaire, les cassos - ceux qui font face à une certaine « fatalité congénitale », qui se perpétue de génération en génération. L’auteur explique dans ses interviews que son objectif est de rendre la vérité tellement insupportable qu’on n’aurait pas d’autre choix que de la changer.
Comme dans Aux animaux la guerre où il dépeint de manière assez violente les Vosges comme un endroit totalement déprimant, son but n’est visiblement pas de ramener des touristes dans notre région. Il vise plutôt à pointer du doigt la mécanique de la reproduction sociale et scolaire parce qu’elle fait partie de la réalité et qu’on ne peut pas l’ignorer. Je reconnais qu’en évoquant les ZAC bétonnées, Heillange, les hauts fourneaux et la sidérurgie, la description d’une partie de notre région est somme toute réaliste, même si elle possède aussi de vrais atouts. Il fait de nombreux clins d’œil aux années 90, dont la coupe du monde 98 qui évoque forcément des souvenirs pour beaucoup. Une analyse sociale implacable et une jeunesse désenchantée qui soulèvent la question suivante : est-on condamné à mener l'existence de nos parents ?

Psychééé - - 36 ans - 23 juin 2021


Génération désenchantée 6 étoiles

Qu'il est difficile de transmettre ses sentiments sur ce roman. J'espérais une touche nostalgique, le roman se déroulant en quatre étapes durant les années 90. Tel ne fut pas le cas. Il se dégage un côté sombre et désenchanté qui prend le dessus sur le côté nostalgique et les réminiscences adolescentes. Parfois la lecture fut pesante.
J'attendais plus de ce roman, le Goncourt ayant augmenté mon attente. Le style aussi m'a déçu. Non pas que ce roman soit mal écrit, mais je ne peux pas dire avoir été emballé.
Néanmoins on s'attache aux personnages, au petit Anthony, à Hacine et ses rêves de caïd. J'aurais aimé en savoir plus sur leur avenir. Dommage.

Sundernono - Nice - 41 ans - 18 février 2021


France périphérique 8 étoiles

Prix Goncourt 2018, ce roman est une sorte de radiographie de la jeunesse de la France périphérique qui semble en quelque sorte renaître sous la plumes des géographes, des sociologues et autres sondeurs depuis quelques années. C'est désormais au tour des romanciers et de Nicolas Mathieu de se pencher sur la population française qui vit dans ces zones hors des grandes métropoles qui ont su bénéficier de la mondialisation.
Car dans ces zones périphériques, la mondialisation a au contraire creusé des abîmes béants: désindustrialisation massive avec ses cortèges du chômage, de la précarité, de la misère des trafics, de l'addiction, de la délinquance, etc…
Les fils et filles des anciens métallos s'ennuient dans leur vallée, entre 14 et 20 ans, c'est l'adolescence, les premiers émois, les expériences dangereuses, les rêves, la révolte.
Anthony qui est le personnage principal du roman représente une sorte d'archétype de l'adolescent de ces zones des années 90: Sous-cultivé mais pas bête pour autant, le lecteur le quitte intérimaire, en situation précaire, broyé par le sceau des classes populaires cantonnées à former les gros bataillons de travailleurs flexibles pour le marché du travail. Rêves brisés, Steph, la petite bourgeoise envolée vers d'autres cieux (ceux du Canada) plus cléments, en train de sombrer dans l'alcoolisme comme son père avant lui. Destins qui se poursuivent…
C'est un roman très riche que nous livre ici l'auteur, un panorama de cette France périphérique qui sombre devant nos yeux depuis les années 80. Mais aussi un portrait émouvant de cette jeunesse qui n'a plus d'idéal, rongée par le consumérisme et le dégoût de sa condition. Un très bon moment de lecture, servi par un style très bon. Certaines scènes assez lestes ne sont pourtant pas inappropriées et s'insèrent de façon naturelle dans le récit montrant combien Nicolas Mathieu a travaillé la composition de son livre pour donner un tableau sincère, sans concession, de cette génération sacrifiée sur l'autel du progrès mondialiste.
Un autre réquisitoire contre cette génération des boomers qui n'a pas su protéger ses enfants.

Vince92 - Zürich - 47 ans - 2 février 2021


Le poids de l'héritage 7 étoiles

Ce roman se divise en 4 parties comme 4 rendez-vous estivaux avec une jeunesse lorraine. Celle des années 90, celle de la première génération post-industrielle.

Il se dégage de ce roman une forme de torpeur, comme un écrasement dû à la touffeur des étés. Il met en scène une jeunesse sans but véritable, qui se laisse dériver au gré des saisons et de l’inéluctable. Seulement attirée par l’ailleurs et repoussée par le modèle parental. Le tout dans un style frontal et réaliste, quelque part entre Zola et Kassovitz.

Le livre ouvre une parenthèse nostalgique d’une époque qui me parle puisque je l'ai vécue au même âge que ses protagonistes. Même si le milieu ouvrier m'est peu familier. Reste une sensation de douce amertume, celle des possibles effleurés.

Elko - Niort - 48 ans - 3 mai 2020


Au coeur d'une vallée de Lorraine 5 étoiles

J'ai lu ce roman en sachant que c'était le Goncourt 2018 et après avoir lu beaucoup de critiques positives.
Est-ce pour cela que j'ai été déçue ? Je ne sais pas, mais je suis très partagée sur ce roman !
Le gros point positif du récit, c'est les personnages. Ils sont extrêmement attachants, notamment Anthony pour qui j'ai eu un p'tit coup de coeur.
L'écriture, le choix des mots sont crus et sans filtre ce qui nous plonge vraiment dans le quotidien des personnages.
J'ai moins aimé le côté "miséreux" des personnages, et un peu cliché. Je trouve l'ambiance du roman triste et assez déprimante. Peut-être est-ce juste la réalité de la vie dans cette vallée, mais ça m'a gênée.
Ce n'est pas ce que je classe dans les grands romans, ni dans ceux que je recommande... mais ayez la curiosité de le lire, votre avis m’intéresse :-)

Krys - France-Suisse - - ans - 9 juin 2019


Chronique de quatre étés 8 étoiles

Les prix littéraires n’ayant jamais guidé mes choix de lecture, ce n’est pas parce que ce roman vient de décrocher le Goncourt que j’ai entrepris de le lire, mais plutôt parce que, dès sa parution, il a eu droit à des critiques très élogieuses, et aussi et surtout parce que son action se déroule non loin de mon berceau d’origine, autrement dit en Moselle dans la vallée de la Fensch. Il est d’ailleurs intéressant, pour qui connaît ce territoire, d’apprécier l’art de Nicolas Mathieu qui a su se l’approprier pour en faire quelque chose qui, à la fois, ressemble à l’original et s’en distingue, et ce pas seulement parce qu’il en a changé la plupart des noms, renommant Heillange la ville de Hayange, Lameck la ville de Fameck et la Henne la rivière la Fensch.
En avril dernier, je m’étais amusé à lire le savoureux ouvrage intitulé « Tour de France des Villes incomprises ». Son auteur, Vincent Noyoux, racontait, avec beaucoup d’humour, comment il était parti à la découverte des villes les moins attractives de France, Mulhouse, Vesoul, Guéret, Vierzon, etc. Or un chapitre de ce livre était consacré non pas à une ville mais à toute une vallée : la vallée de la Fensch, bien évidemment. Qui aurait l’idée d’aller visiter un endroit pareil, on se le demande ? Et ne parlons pas d’aller y passer ses vacances !
Or c’est précisément ce que propose, d’une certaine façon, Nicolas Mathieu, dont le roman se déroule sur quatre étés, ceux de 1992, 1994, 1996 et 1998. Quatre étés chauds et étouffants qui suffisent à battre en brèche le préjugé selon lequel il fait toujours gris en Lorraine. Ce n’est pas le ciel qui est gris dans ce roman, mais bien plutôt l’environnement, le lac aux odeurs de pétrole, le vestige rouillé du haut-fourneau, la ville sans attrait. Même la statue de fonte de la Vierge érigée par Wendel au-dessus de la vallée n’y peut rien : elle semble n’avoir plus d’autre fonction que de servir de point de rendez-vous pour les adolescents désoeuvrés.
Deux d’entre eux, Anthony et Hacine, sont au cœur du roman et, autour d’eux, gravitent beaucoup d’autres personnages : leurs parents et d’autres jeunes de Heillange comme Steph, Clem, Elliott, etc. Avec un réalisme souvent très cru, usant d’un style constellé d’argot qui convient parfaitement à son propos, Nicolas Mathieu raconte des vies brisées et des rêves qui ont peu de chances de se réaliser. Les adultes (surtout les hommes) ont déjà baissé les bras ou sont sur le point de le faire jusqu’à, pour certains d’entre eux, sombrer dans l’alcool. Les femmes, d’une certaine façon, s’en sortent mieux, surtout précisément quand elles sont seules, divorcées ou mêmes veuves, c’est-à-dire pouvant enfin profiter librement de ce qui leur reste de vie.
Quant aux jeunes, il n’en est pas un qui ne rêve de quitter la vallée pour se construire une autre vie (qui ne ressemblerait pas à celle de leur père). Or cette aspiration se heurte à de dures réalités et, quand il en est un qui parvient à s’échapper, c’est, le plus souvent, pour être forcé de revenir quelque temps plus tard. Nicolas Mathieu décrit avec justesse la banalité des vies, mais sans en rajouter dans la désolation. La vallée de la Fensch, certes sinistrée, n’en bénéficie pas moins de quelques atouts, parmi lesquels la proximité du Luxembourg où « les paies [sont] bonnes [et] les protections minces ». Quant à Anthony, Hacine et aux autres jeunes, même si leurs vies sont plus ou moins engluées dans des réalités poisseuses, ils ne sont pas dénués de la vitalité qui convient à leur âge.
On ne saurait parler de Nicolas Mathieu comme d’un Zola de seconde classe. Il décrit une réalité qui n’a rien de mirobolant avec le talent d’un homme qui perçoit parfaitement les ambiguïtés d’un territoire et de ses habitants, mais aussi, plus largement, d’une époque. Il le fait, par exemple, non sans ironie, en décrivant, à la fin du livre, l’illusion d’une unité retrouvée lorsque toute la France vibre à l’unisson à l’occasion de la Coupe du Monde de Football de 1998. Il le fait aussi, tout au long du roman, lorsque se présente une opportunité. Car Nicolas Mathieu sait comment caractériser une époque, ses chimères et ses déboires, il sait comment décrire la couleur du temps.
Ainsi, lorsque Anthony, à l’occasion de funérailles, entre dans une église. « Il regardait les vitraux, écrit Nicolas Mathieu, les sculptures, ces images de supplice et de gloire, sans rien comprendre. Le sens de cette langue, pour lui et beaucoup d’autres, était perdu. Il ne demeurait qu’un décorum prétentieux et des gestes tournant à vide. » Peut-on mieux dépeindre, en quelques lignes, le fossé qui sépare désormais le plus grand nombre de nos contemporains d’avec les représentations de la foi catholique ? Rien n’est irrémédiablement perdu cependant, comme le fait remarquer plus loin l’écrivain : « Anthony avait beau ne pas croire à cette fantasia biblique, l’élancement de la pierre, les bleus du vitrail, cette verticalité, ça faisait quand même un truc. » Il reste « un truc », quelque chose que beaucoup ne savent pas nommer et qui, cependant, n’a besoin que d’une occasion, l’entrée dans une église pour un enterrement, pour s’éveiller à la conscience. La question qui se pose à la lecture de ce roman, l’une des questions en tout cas, c’est précisément de pouvoir à nouveau nommer avec davantage de précision et de contenu ce qui n’est qu’un « truc ». Cela vaut pour ce qui concerne le sentiment religieux, pas totalement disparu comme on le constate, comme pour tout le reste. Y a-t-il quoi que ce soit, aujourd’hui, qui puisse donner le goût de vivre et d’entreprendre à ceux qui sont désenchantés ? L’euphorie suscitée par les succès des bleus à l’occasion de la Coupe du monde de football a peu de chance d’y suffire…
Ne nous y trompons pas, ne soyons pas rebutés par la trivialité du style dont use Nicolas Mathieu. Il lui permet de rester au plus près de personnages qui n’emploient pas d’autre langage que celui-là. Le ton est toujours juste et le texte vibre de beaucoup de résonances qui vont droit au cœur.

Poet75 - Paris - 68 ans - 27 novembre 2018