La porte dans le mur
de Herbert George Wells

critiqué par Tistou, le 12 septembre 2018
( - 68 ans)


La note:  étoiles
dans la veine « Autres dimensions »
« La porte dans le mur » (1906) est dans la même veine que « Un étrange phénomène », nouvelle antérieure, et que le roman « M Barnstaple chez les hommes-dieux », à savoir la juxtaposition de mondes, de dimensions parallèles.
Dans cette nouvelle, c’est une porte, dans un mur, qui joue le rôle de lieu de passage entre deux mondes : le monde réel, forcément glauque et sans trop d’illusions chez Wells et un monde merveilleux, serein, apaisé, comme chez M Barnstaple et ses hommes-dieux ou Mr Skelmersdale au Pays des Fées.
Lionel Wallace a connu, petit, une expérience peu banale qui l’a enchanté sur l’instant et lui a fait paraître fade le restant de sa vie :

« Pour lui, cette porte dans le mur était une porte véritable, menant, à travers un mur véritable, vers les réalités immortelles.
Elle apparut dans sa vie de très bonne heure, quand il n’était qu’un bambin de cinq ou six ans. Je me rappelle de quel ton lent et grave il me précisa la date.
- Une vigne vierge cramoisie la recouvrait, décrivait-il, une seule belle teinte cramoisie, sur une tâche ambrée de clair soleil, contre un mur blanc. Ces détails se confondaient dans l’impression d’ensemble, sans que je m’en fusse rendu compte, et, devant la porte verte, le trottoir était parsemé de feuilles de marronnier, tachetées de jaune, ni rousses ni sales, mais fraîchement tombées … ce qui indique que c’était en octobre … J’observe tous les ans les marronniers, et je ne me trompe pas … Autant que je puis en être sûr, je devais avoir cinq ans et quatre mois.
…/…
Wallace s’abandonna un moment à sa rêverie ; puis, avec l’inflexion hésitante de ceux qui relatent des incidents incroyables, il reprit :
- Imagine-toi qu’il y avait là deux grandes panthères … oui, deux panthères tachetées … Et je n’avais pas peur … Ces fauves au pelage velouté jouaient avec une balle, dans une allée spacieuse, entre deux longues plates-bandes fleuries à bordure de marbre. L’une des bêtes leva la tête et vint à moi, curieuse. Elle s’approcha, frotta son oreille ronde et douce contre la petite main que je tendis, et ronronna … C’était un jardin enchanté … Oui, certes ! … Ses dimensions ? Il s’étendait très loin de tous côtés. Je crois même qu’on apercevait des collines dans la distance … Comment diable étaient-elles venues à West Kensington ? … Je n’en sais rien, mais je me trouvais là comme à un retour chez soi, après une longue absence … »

Effectivement tout ceci nous met loin de West Kensington où la réalité est toute autre.
Un des intérêts de cette nouvelle, outre l’histoire proprement dite, est la description d’une nostalgie d’instants passés qui peut impacter la vie d’un individu. Ici, bien sûr, à un niveau inégalable pour le commun des mortels ; tout le monde ne franchit pas une telle porte ! Cette thématique est abordée dans d’autres nouvelles ou romans tels « Mr Skelmersdale au Pays des Fées » ou « M Barnstaple chez les hommes-dieux » par exemple.
H.G. Wells y décrit également des occasions manquées, du genre de celles qui vous laissent un regret éternel – et ça, je pense que beaucoup d’entre nous en connaissent. Lionel Wallace aura en effet à diverses époques de sa vie l’occasion inopinée de retrouver cette porte mais chaque fois dans des situations telles qu’il lui est impossible de repousser cette porte ; soit qu’il se rende au lit de mort de son père ou à un concours pour une bourse … En tout état de cause, pour H.G. Wells, pour retrouver le paradis perdu, il faut être prêt à payer un prix … qu’on est incapable de payer.