Des réguines et des hommes
de Julie Myre-Bisaillon

critiqué par Libris québécis, le 17 juillet 2018
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Kijiji pour un bizouneux
Les patenteux ont besoin de Kijiji, un site de ventes en ligne. On n’y négocie pas le tout dernier gadget révolutionnaire. On y cherche plutôt le bidule obsolète afin de se servir des pièces pour réparer celui que l’on possède. Le héros du roman, que l’auteure appelle affectueusement Chéri, répond à ce genre d’homme, un ramasseux qui conserve tout dans la cour, voire dans la maison, réduisant d’autant l’espace vital de la famille. Le salon se transforme en entrepôt de réguines (objets inutilisables) qui pourraient toujours servir au cas où. La procrastination aidant, le musée de l’horreur au profit du dépannage est voué à un avenir prometteur. Tout se crée à partir de ce que l’on conserve.

Même si Chérie a décidé de quitter la ville avec ses deux filles pour suivre son chum (conjoint) à la campagne où il est devenu maraîcher, elle n’a pas fait le vœu de renoncer à tous les avantages urbains. Vie bucolique dans un décor champêtre. Que peut-elle rêver de mieux ? Manger de la salade avec la terre qui l’a vue pousser. Pour la culture biologique, il faut être prêt à tout, surtout à la saleté de la maison, considérée comme un hangar à l’instar des autres bâtiments. Et comme ces hommes savent tout faire de leurs mains, croient-ils, Chérie devra attendre longtemps avant que son chum lui bizoune (bricole) une table de cuisine qui se tient sur ses quatre pattes.

Au portrait, il faut ajouter le beau-père, un gentil monsieur, qui loge dans son Winnebago (caravane) qu’il a parqué définitivement dans la cour. Il sait se rendre utile. Il coupe le bois dans la forêt derrière la maison pour la chauffer l’hiver. C’est le retour nostalgique à la vie ancestrale. Se détacher des biens de ce monde pour s’attacher seulement à ceux que l’on a façonnés soi-même. Pourquoi se procurerait-on une sécheuse quand on peut étendre une corde à linge pour le faire sécher ? Mais quand Chéri veillera-t-il en poser une ?

Ainsi va la vie dans cette famille qui a renoncé à ce qui la facilite. C’est le fait main qui compte. On mange ses légumes et ses poules, on fabrique ses meubles et ses outils. Rien n’est à l’épreuve du bizouneux (bricoleur) qui sait tout patenter.

L’auteure décrit un genre d’homme que l’on rencontrait jadis très souvent. Le modèle resurgit de nos jours. C’est un roman amusant écrit avec une verve qui ne se dément pas. Le bât blesse au plan de la facture. On pourrait qualifier l’œuvre de catalogue d’exemples de ce que l’on peut amasser comme réguines. Quand est-il des relations du héros avec autrui ? Sa femme et ses enfants agissent comme des marionnettes au service de sa conception de la vie. Heureusement, le sens de l’humour protège l’œuvre de l’ennui inhérent au procédé itératif suivi par l’auteure.