Nouvelles septentrionales
de Thierry Radière

critiqué par Débézed, le 20 juin 2018
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
"Du réel au fictif"
Dans ce recueil, Thierry Radière a rassemblé quatre nouvelles inspirées par des événements importants de son passé qui ont tous pour cadre les septentrions de la France, là où il est né, a grandi, a fait ses études et où vivent encore certains membres de sa famille, c’est du moins ce qu’on peut penser à la lecture de ces textes. J’ai lu des noms de lieux que j’ai visités lors de mes périples dans la « France profonde » : Soissons, Laon, Vouziers… des noms qui fleurent bon nos belles provinces.

Mémé est morte tout là-haut sur la carte dans le village de naissance de l’auteur qui se rend aux obsèques avec une grosse valise ce qui interpelle sa petite fille qui se demande s’il va ramener la grand-mère dans cet énorme bagage. Les obsèques au village suivent un rituel marqué par la religion, un rituel qui a bien peu évolué dans lequel l’auteur ne reconnaît pas forcément son idée de la mort et de ce qui en découle. Et, comme partout dans nos villages, un décès c’est l’occasion de resserrer les liens au sein de la communauté en partageant un café et une part de gâteau local. Mais pour une fois, la cérémonie va prendre une tournure particulière, le petit frère veut épater son aîné mais la démonstration ne se passe pas comme il le pensait. Et le récit devient nouvelle. J’ai été pris d’émotion en lisant ce texte car il a fait remonter à ma mémoire les obsèques de ceux qui me furent particulièrement chers.

La deuxième nouvelle est l’illustration de ce qu’on appelle « le syndrome du coucou », l’oiseau qui niche dans le nid des autres pour finir par les évincer. Gérard un ancien pote de fac perdu de vue depuis longtemps, rendu insupportable par son exubérance, son sans-gêne et son besoin de reconnaissance, téléphone de plus en souvent à la mère de l’auteur qui, prise de pitié pour cet homme solitaire, passe son temps à l’écouter jusqu’à le laisser entrer dans la vie de sa famille.

Raté son bac deux années consécutives, il y a de quoi se flinguer et c’est ce à quoi songe l’auteur après avoir cherché désespérément son nom sur la listes candidats au moins admis à l’oral. En retrouvant une balle de 22 long rifle dans le fatras de ses tiroirs, il murit un plan mais de l’élaboration de celui-ci à sa mise en œuvre il y a encore la place pour quelques grinces de sable pouvant faire grincer la mécanique du fatal projet.

Pour conclure, l’auteur raconte comment une fille dont il a été amoureux quand il était collégien, est devenue la principale suspecte de l’assassinat et de la mutilation de son mari. Il frissonne en pensant qu’il aurait pu être la victime. Et essaie de comprendre comment cette fille qu’il a aimée, en est arrivée à ces gestes extrêmes.

Je lis Thierry Radière depuis quelques années mais je crois que c’est la première fois que je suis confronté à des textes aussi sombres, la mort rode au sein d’au moins trois des nouvelles rassemblées dans ce recueil. L’ambiance créée par l’auteur, les descriptions détaillées des événements, donnent au lecteur l’impression de revivre des heures tragiques qu’il aurait pu lui -même connaître, c’est du moins ce que j’ai personnellement éprouvé. J’ai eu l’impression que l’auteur cherchait à évacuer dans des évocations morbides des souvenirs anciens toujours douloureux, à tirer un trait définitif sur une partie de sa vie qui le chagrine encore. Mais peu importe l’intention tant qu’il nous reste le plaisir de déguster son art de l’écriture, de la narration et de la formule de style.

Alors pour conclure, je garderai en mémoire ces quelques mots de l’auteur qui peuvent éclairer la lecture de ces nouvelles même s’ils s’appliquent principalement à la quatrième : « C’est la première fois que j’analyse mon passé en ces termes, je veux dire comme un texte à commenter. Je suis passé du réel au fictif (du récit à la nouvelle) en m’accrochant à des figures de style, seules capables de m’aider à comprendre un peu mieux le mystère de cette histoire (la quatrième et peut-être les autres aussi). »
Partage d'émotions 8 étoiles

Je connais divers ouvrages de Thierry Radière, qui est à mes yeux un poète, ses écrits très imagés, nostalgiques, pleins de sensations, montrent une grande sensibilité au monde qui l'entoure. Les choses simples, le quotidien, des notes d'humour, offrent à sa plume une écriture instantanée, le réel des choses et un partage avec le lecteur.

Ici l'auteur nous propose un recueil de nouvelles déroutant. Quatre drames donc, une plongée dans des souvenirs tourmentés, et un fait divers local, situés dans le Nord Est de la France, sa région d'origine.

On retrouve la tristesse, lors des obsèques de la grand mère et les pensées intimistes à l'égard du cérémonial, le fait de n'être pas à l'aise, de devoir faire semblant, d'avoir honte de ne pas montrer sa propre peine, chacun d'entre nous peut l'avoir vécu.

Vient le désarroi, avec l'ami envahissant, éternel ado suffisant qui s'imposait tous les week-end, avec cette manie de ne parler que de lui et encore de lui, excessif dans ses propos, rebelle, révolté, qui logeait patiemment dans un coin de la mémoire, et ressurgit de façon étrange et intéressée.

Suit la compassion avec le jeune garçon en échec, qui se maudit et n'a guère besoin des reproches parentaux pour prendre la réalité en pleine face et décider de son avenir.

On termine avec la nostalgie, mais aussi la sidération, quand on découvre l'histoire de l'ancien flirt, lycéenne allumeuse qui donnait du fil à retordre à ses amoureux transis, se trouvant en première page de "L'Union", journal local.

Partage d'émotions donc, toujours, malgré la noirceur des propos inhérente aux nouvelles proposées, et pari réussi dans ce domaine.

Nathafi - SAINT-SOUPLET - 57 ans - 6 mars 2021