Swinging Mai 68
de Jean-Claude Fournier (II)

critiqué par Jcfvc, le 29 mai 2018
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Mai 68 dans l'Europe des sixties
En ce cinquantenaire, qui est l'occasion d'une prolifération de témoignages nostalgiques et majoritairement laudateurs de ces événements par ceux qui les ont vécus de l'intérieur, au coeur des manifs, des usines occupées et des amphis, l'intérêt principal de ce roman est précisément de nous apporter un regard extérieur, de la part de quelqu'un qui suit les péripéties de ce que l'on appelle alors un nouveau front populaire, depuis Londres. Le regard est extérieur, et donc plus objectif peut-être, à plus d'un titre :
- l'éloignement géographique et l'incapacité provisoire de rejoindre le quartier latin obligent notre témoin à se procurer des infos à des sources non françaises, non filtrées par la censure gaullienne. Ces soubresauts de l'histoire paraissent ainsi moins dramatiques, plus "exotiques" peut-être au narrateur qui nous les relate ainsi que son personnage les a vécus, en outsider, qui n'est jamais vraiment impliqué, tout comme pouvait l'être le héros de Flaubert dans l'éducation sentimentale en 1848.
- l'éloignement générationnel induit, de la part du personnage principal, qui a déjà 26 ans et doit travailler pour poursuivre des études, une distance idéologique envers certaines outrances utopistes du mouvement étudiant, qui ne pouvaient qu'aboutir à la défaite historique de la gauche aux "élections pièges à con" voulues par le général pour reprendre la main qu'il avait provisoirement perdue dans la rue, dans les usines et chez la bourgeoisie libérale et progressiste.
- l'éloignement sociologique du personnage envers les enfants de bourgeois, qui ont eu, eux, la chance de pouvoir s'inscrire en faculté une fois le bac obtenu, alors que lui, fils du peuple passé par l'école normale d'instituteurs, s'est vu privé d'études supérieures pour aller enseigner dans un petit village. C'est donc avec une certaine incompréhension qu'il reçoit les injonctions gauchistes à refuser de passer les concours d'enseignement pour ne pas "collaborer" avec "l'idéologie dominante" propagée par les "mandarins universitaires".
- Eloignement émotionnel, enfin, à l'égard des slogans qui proclament l'amour libre et, entre autres rejets de toute institution, celle de la cellule familiale, alors que notre apprenti sorcier "révolutionnaire" connait le grand amour avec une jeune anglaise et voudrait l'épouser, se la garder pour lui tout seul tout en prêchant pour lui-même un certain droit à connaître des expériences sexuelles qu'il n'a pu accumuler autant qu'il l'aurait voulu pendant l'adolescence. Au début des années soixante en effet, les moyens de contraception étaient inexistants ou presque dans les pays catholiques et la majorité des filles ne se "donnaient" à leur partenaire que si elles faisaient confiance à ce dernier pour ne pas les abandonner si elles tombaient enceintes.
On a donc affaire, avec ce roman d'apprentissage, non à un héros positif des sixties, convaincu de la nécessité du meilleur des mondes gauchiste ou libertaire, mais à quelqu'un qui adhère aux pulsions "dégagistes" avant la lettre qui s'expriment un peu partout dans les facs, les usines et dans la rue, mais qui est plein de contradictions dans sa vie personnelle, qui voudrait peut-être voir les événements déboucher sur une situation insurrectionnelle, mais qui reste un outsider, qui joue à se faire peur en se frottant (intellectuellement seulement) avec des mouvements utopistes dont il a du mal à concevoir la faisabilité économique, politique et historique."

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