Comme une grande
de Elisa Fourniret

critiqué par Fanou03, le 23 avril 2018
(* - 49 ans)


La note:  étoiles
Dresser un cadastre pour ne plus naviguer au hasard
Bravo à Élisa Fourniret d’avoir su nous proposer ce texte vivifiant, sur une thématique pourtant relativement ressassée, celle de la monoparentalité occidentale et du mal-être qui l’accompagne. Le sujet en effet ne s’avérait pas facile à traiter : il fallait pouvoir éviter des écueils comme le déjà-vu, le nombrilisme ou le pathos. L’autrice s’en sort à merveille, grâce à la tendresse de son propos, une ironie lucide envers sa narratrice et surtout, surtout, un style bien à elle, nerveux, et très « urbain », pour reprendre un qualificatif très juste déjà utilisé dans une des critiques de son livre.

Sur la trame du récit lui-même, les esprits chagrins pourront dire bien sûr qu’on se trouve dans un schéma assez classique : Comme une grande évoque ainsi les états d’âme d’une mère célibataire de quarante ans, effeuillant les amants de passage, tentant, vaille que vaille, d’élever son petit bonhomme de huit ans dont le père, dépressif et asocial, s’avère plutôt aux abonnés absents. Le roman néanmoins parvient à sublimer cette matière grâce au parti pris stylistique d’Élisa Fourniret: une prose apparemment proche de l’oralité, émaillée d’anglicismes plus ou moins bruts, d’expressions familières, de néologismes populaires (le délicieux « en-bordelée » pour parler d’une chambre en pagaille), des accumulations bien senties. Soucieuses du rythme de sa langue, l’épiçant d’allitérations (« des hordes de kids ») elle lui donne ainsi une véritable musique, de la poésie, ainsi que beaucoup de nervosité, d’énergie, qui font écho à la vie trépidante et quelque peu chaotique de la narratrice.

Une citation de Patrick Modiano, en exergue du roman, extrait de Dans le café de la jeunesse perdue (« Dresser une sorte de cadastre pour n’avoir plus l'impression de naviguer au hasard ») pourrait sans doute en partie résumer le projet de Comme une grande. La topographie urbaine imprègne en effet le récit. Le nom des quartiers de Paris, des rues, des cafés, l’évocation de Longwy, d’où sont originaires les parents de la narratrice, sont autant d’étapes et de repères qui jalonnent un autre récit, autobiographique celui-là, structurant l’œuvre, au gré de la déambulation à la fois mélancolique et pressée de la narratrice, rappelant ses souvenirs et interrogeant ses relations aux autres et à sa famille en particulier. Dans la solitude de la ville, la narratrice construit un dialogue intérieur sans concession avec elle-même mais toujours avec humour.

D’une expérience sans doute peut-être en partie largement autobiographique, comme le laisse à penser la ligne éditoriale des éditions Mauconduit où est publié le roman, Élisa Fourniret a réussi, en tout cas me semble-t-il, à fondre ses éléments personnels dans un beau récit, très touchant, qui parle de la fragilité de nos vies et de nos angoisses existentielles avec beaucoup de fraîcheur et de justesse.