Sur la route de Babadag
de Andrzej Stasiuk

critiqué par Tistou, le 16 avril 2018
( - 68 ans)


La note:  étoiles
14 Nouvelles
« Andrzej Stasiuk est né à Varsovie en 1960. Militant pacifiste dans sa jeunesse, il passe deux ans en prison pour avoir refusé de faire son service militaire, expérience qu’il racontera plus tard dans Mury Hebronu (Les Murs d’Hébron). Après avoir travaillé pour des journaux clandestins au temps de Solidarité, il quitte Varsovie en 1986 et s’établit dans un petit village à l’extrême sud de la Pologne. En 1996, il y fonde avec Monika Sznajderman, sa femme, la maison d’édition Czarne. En 2005, il reçoit le prix Adalbert Stifter ainsi que le prix Nike, équivalent polonais du prix Goncourt. »
Polonais donc, on pourrait qualifier Andrzej Stasiuk de « Nicolas Bouvier de l’Europe de l’Est » ! Comme Nicolas Bouvier il a cette capacité à saisir des détails insignifiants d’un lieu, de personnages, de moments d’un voyage, à les saisir et à nous les donner comme preuves intangibles d’une réalité proprement indescriptible. Comme l’art d’une description en creux ; définir les « autour », les à – côté, pour mieux faire sentir l’insaisissable. Mais de l’Europe de l’Est (ou celle qu’on appelait ainsi avant la chute de Mur – vous savez ce fameux mur en ex-RDA), exclusivement de cette Europe là qui semble obnubiler notre Andrzej Stasiuk.
Romancier il n’est point. Sur les quatre ouvrages lus à la file aucun ne raconte une histoire complète, continue. Ce sont toujours des fulgurances. De lieux, de pays ou de personnages. De courts chapitres qui souvent constituent un tout, à relier, ou pas, au reste. Quant au style, il est remarquable. Peut-être aussi est-il remarquablement traduit ? En tout cas la lecture d’Andrzej Stasiuk est une lecture exigeante. De par les sujets, les thèmes abordés et par la sophistication de son écriture. A contrario on dira que ses ouvrages ne sont pas des « page – turners » !

14 Nouvelles dont une très longue dernière, éponyme. Nous sommes avec ce « Sur la route de Babadag » dans la même veine que « Fado », c’est-à-dire tendance « road movie », relations d’émotions du voyage, d’un écrivain « on the road ». Et là encore c’est l’Europe Centrale et Orientale qui en est la véritable vedette : ex – Yougoslavie, Albanie, Moldavie, Pologne, Roumanie, Hongrie, … tous ces pays qui font partie de notre espace européen et que nous méconnaissons avec constance ! Tiens, ne serait-ce que cet extrait tiré de la nouvelle « Moldova »

« Le pays mesure trois cents kilomètres environ à l’endroit le plus long et cent trente environ à l’endroit le plus large. Le passage de Leuseni est en béton gris et il est désert. La femme en uniforme prend les passeports et disparait pendant une quinzaine de minutes. Ne passent ici que les Moldaves et les Roumains, et certainement personne par plaisir. »

Personne par plaisir ? Pourtant « Moldavie » finalement ça me fait rêver. Ca m’évoque « Le sceptre d’Ottokar », un merveilleux album de Tintin. Ca m’évoque cette architecture … paysanne ( ?) qui m’avait surpris à Bratislava, la capitale de la Slovaquie. Une architecture toute simple, en vastes arrondis … Mais pourquoi je vous raconte ça, moi ?!
Babadag, au fait, ce n’est pas une faute pour Bagdad (comme j’avais pu naïvement l’imaginer avant d’avoir le livre en main), Babadag est une ville roumaine, dans le delta du Danube. Où l’on trouve … ? Des Tziganes ! (comme dans toute l’Europe à vrai dire) Les Tziganes, un des sujets récurrents de Stasiuk. Comme nous, Stasiuk ne les comprend pas. Mais lui en tout cas, il est fasciné par eux. Il est vrai qu’entre l’ultra-conformisme de la société post-communiste et la fantaisie tzigane …
L’ouvrage est décousu, parcouru de digressions, et pourtant vous avez l’impression d’en savoir beaucoup sur ces sociétés auxquelles on s’intéresse si peu par ici. Lisez Andrzej Stasiuk, vous aurez une idée de toutes les connaissances qui peuvent vous manquer. Si proches, si lointaines …