L'héritage des espions
de John le Carré

critiqué par Tanneguy, le 8 avril 2018
(Paris - 85 ans)


La note:  étoiles
En forme de testament ?
Peter Guillam jouit de sa retraite des services d'espionnage de Sa Majesté. Les lecteurs fidèles se rappelleront qu'il fut un proche de George Smiley lors des affaires de la guerre froide en ex-RDA. Il en est de même de nombreux personnages de ce roman.
Peter Guillam est franco-britannique; sa mère française, son père sujet britannique, et la convocation qu'il reçoit par courrier ne le surprend pas vraiment et il n'hésite pas à s'y rendre sans tarder : le nouveau service est soumis à une enquête parlementaire à la suite d'une plainte formulée par les descendants de personnels victimes de "pertes collatérales" dues, disent-ils, à des erreurs perfides des responsables d'alors. L'objectif essentiel est de préserver la réputation du service, fût-ce aux dépens des agents en poste à l'époque. Cela ne fait pas l'affaire de Peter Guillam qui doit subir un "debriefing" particulièrement désagréable. C'est le sujet principal du livre qui évoque plusieurs opérations délicates et rappelle le mode de fonctionnement actuel et ancien des services d'espionnage britanniques. Passionnant !

La langue et le style de J. le Carré (il tient au l minuscule !) sont toujours aussi remarquables ; le travail de la traduction y contribue énormément...

Espérons qu'il ne s'agit pas d'un dernier roman ; espérons également qu'on n'essaiera pas d'en tirer un film qui serait forcément très décevant !
Comme une suite, à distance, de "L’espion qui venait du froid" … 8 étoiles

Une suite … à distance de 56 ans ! L’action de L’espion qui venait du froid se déroulait en 1961. « L’héritage » en question, c’est en 2017 !
Peter Guillam, George Smiley, coulent des jours paisibles dans leur retraite et sont retirés des « affaires ».
Des jours paisibles en Bretagne, pour ce qui concerne Peter Guillam, principal protagoniste de cet « héritage ». C’est que la mère de Peter Guillam était bretonne. Mais voilà qu’un courrier l’appelle à Londres, au Bureau, alias « Le Cirque », l’ancien employeur de Peter Guillam et de son ex-responsable, George Smiley. Ce sont bien des Services de renseignements dont on parle, d’où tous les anciens de son époque sont partis, gérés maintenant par de jeunes nouvelles têtes, avec de nouvelles méthodes et certainement des critères qui ont évolué. Choc de générations.
Des détails de l’affaire « Windfall », menée en 1961 à Berlin par Smiley assisté de Guillam, a donné lieu à des « pertes collatérales » - on parle de pertes humaines – et les enfants de deux de ces agents (ou assimilés) sacrifiés vont déposer plainte contre l’Etat britannique, considérant qu’il est responsable de ces pertes.
Peter Guillam, faute de pouvoir mettre la main sur George Smiley, est convoqué pour « éclairer » des faits les services juridiques dans le cadre d’un procès. Le roman va donc être la relation par Peter Guillam de ce qui s’est déroulé en 1961, une relation partielle ou modifiée aux marges pour couvrir les irrégularités qui s’étaient inévitablement produites.
Un roman tout en finesse, qui fait une grande confiance dans l’intelligence du lecteur avec de nombreuses zones que John le Carré laisse volontairement dans l’ombre, et qui fait ressortir une forme de nostalgie. Cette nostalgie que connaissent toutes celles et ceux qui ont pu s’investir dans un travail durant de longues années, sont partis en retraite et constatent à l’occasion que leurs successeurs se comportent totalement différemment.
Un des tout derniers romans de John le Carré …

Tistou - - 68 ans - 29 avril 2024


L'espionnage de l'intérieur 7 étoiles

Je connaissais de renommée de « L’espion qui venait du froid », j’avais vu le film « La Taupe » au cinéma, il ne me restait plus qu’à lire l’auteur original de ces œuvres. John Le Carré, ancien agent du service de renseignement britannique est reconnu pour sa connaissance du milieu et ses écrits proches de la réalité. J’avais donc hâte de découvrir un vrai roman d’espionnage.

Alors, attention, quand je vous parle de roman d’espionnage, ne vous attendez pas à une aventure à la James Bond ou à la Mission Impossible, avec des poursuites, des fusillades et des gadgets. Ce n’est pas du tout le cas. En l’occurrence, l’action se déroule bien dans le monde des agents secrets mais pendant la guerre froide. Et là, en cette période, les missions de renseignements étaient surtout basées sur la psychologie. Les états utilisaient les qualités relationnelles de leurs espions afin de déstabiliser les autres puissances mondiales. C’était un jeu de dupes, entre information et désinformation, dans lequel chacun manipulait l’autre.

Grâce à sa narration d’un grand réalisme, John Le Carré nous ouvre les portes des opérations sous-marines menées par le gouvernement britannique pour infiltrer la Stasi. Le rythme du récit n’est pas soutenu et nous permet d’explorer en profondeur les rouages de ces manipulations mentales, qui servent de levier pour faire pencher la balance.

En voyageant entre passé et présent, en confrontant les deux époques, il se dégage aussi une forme de nostalgie. En effet, l’auteur marque bien les différences et les évolutions de son métier et paraît regretter le bon vieux temps de l’espionnage à l’ancienne. Il semble, avec son texte, tourner une page de l’Histoire qu’il a connue et laisser la place à la nouvelle génération.

Ce n’est pas un roman léger et il faut l’aborder avec concentration. De par la langue soutenue et de par le déroulement complexe des évènements, il faut prévoir de le lire par longues plages horaires, afin d’être absorbé par les évènements. La lecture de ce livre a été éprouvante pour moi, parfois un peu ennuyeuse, mais le réalisme et la vérité qui en ressort méritaient vraiment que je m’y attarde. Maintenant, je ne vois plus l’espionnage et le renseignement de la même manière et je comprends la notoriété de ce grand auteur qu’est John Le Carré.

Killing79 - Chamalieres - 45 ans - 21 mai 2018